Dès les années 1950, les premiers travaux scientifiques sur la persécution des Juifs sous l'Occupation, fondés sur les archives de l'État, ont réduit à néant les justifications des dirigeants de Vichy à la Libération : le « moindre mal », « sacrifier » les Juifs étrangers pour « sauver » les Juifs français, etc.
Depuis, l'historiographie, qui a abouti dans les années 1970-1980 aux travaux majeurs de Robert Paxton ou de Serge Klarsfeld, n'a cessé de se développer, au point qu'il est sans doute impossible de dresser la liste exhaustive des milliers de titres parus.
D'où la nécessité d'une présentation des acquis les plus récents de la recherche, française et internationale, sur la Shoah en France. Telle est l'ambition du présent ouvrage, à l'échelle des acteurs, dirigeants comme simples citoyens, qui permet de comprendre le bilan de la « solution finale » en France : 74 150 déportés ; plus de 200 000 non-déportés.
Malgré la volonté génocidaire de l'occupant et la politique des dirigeants de Vichy visant à mobiliser toute la puissance de l'État contre les Juifs apatrides et leurs enfants, les obstacles dans l'administration et la société étaient suffisamment nombreux pour que, dès les grandes rafles de l'été 1942, en dépit des dizaines de milliers d'arrestations, la majorité des victimes parviennent à s'en sortir.
Une mise au point salutaire alors que le savoir scientifique sur les crimes du XXe siècle est régulièrement attaqué à des fins nationalistes.
La révoluion Russe de février 1917, puis le coup d'État d'octobre et la guerre civile qui s'ensuivit furent des événements parmi les plus déterminants de l'Histoire contemporaine. Ils ne furent même pas à proprement parler russes, car ils mirent aux prises de multiples parties prenantes, chacune ayant une cause par culière à défendre - nationale, ethnique ou de classe.
En 1917, quand la Russie impériale, archaïque et vermoulue, sapée aussi par sa gestion calamiteuse de la guerre, se désagrège, Lénine et ses bolcheviks s'emparent du pouvoir par la ruse, la terreur, et par un sens de l'organisation hors du commun. Pendant trois ans, la Russie va connaître une guerre civile d'une férocité inimaginable. Dès 1918, Lénine décrète la Terreur rouge : tout aristocrate, tout bourgeois doit être sommairement exécuté en tant qu'ennemi de classe. De leur côté les Blancs sont minés par les désaccords politiques et desservis par les exactions commises par leurs cosaques.La propagande du camp victorieux a tout fait pour déformer et reconstruire ce conflit sous la forme d'une geste héroïque. Il est restitué ici pour ce qu'il fut, à savoir sans aucun doute, avec ses six à dix millions de morts, l'un des plus barbares de l'ère moderne. L'exploitation d'innombrables archives inédites a permis à Antony Beevor de nous raconter et de nous expliquer, comme jamais auparavant, ce cercle vicieux de la terreur qui a exacerbé les tensions politiques dans le monde entier et abouti à la Guerre d'Espagne et à la Seconde Guerre mondiale.
C'est avec une terrible soif de vengeance, après les exactions commises par les allemands en Russie, que l'Armée rouge atteint les frontières du Reich en janvier 1945, puis s'approche inexorablement de Berlin, « l'antre de la bête fasciste ». Et cette vengeance sera effroyable : villes et villages anéantis, civils écrasés par les chenilles des chars, meurtres en série, pillage systématique. Des centaines de milliers de femmes et d'enfants périssent, souvent de faim ou de froid, et plus de sept millions de personnes s'enfuient vers l'ouest pour tenter d'échapper à la mort et à la terreur. Le viol devient systémique, de sorte que pas moins de deux millions d'Allemandes en sont victimes - chiffre corroboré par les rapports secrets que le NKVD envoie à Moscou.
Pour avoir révélé dans ce livre l'ampleur du phénomène, Antony Beevor fut accusé de diffamer l'Armée rouge et déclaré persona non grata en Russie par Vladimir Poutine. Hitler, confiné dans son bunker souterrain, à moitié fou, veut orchestrer le Götterdämmerung d'un peuple allemand qu'il estime n'avoir pas été à la hauteur du destin qu'il lui assignait. Les Berlinois paieront de leur vie par dizaines de milliers le fanatisme suicidaire du Führer, tandis que Staline prépare déjà l'après-guerre en cherchant à mettre la main sur l'arme nucléaire que préparait le Reich dans un laboratoire secret dans la banlieue sud de Berlin.
S'appuyant sur des archives souvent inédites, Antony Beevor nous livre non seulement un document historique capital, mais aussi un grand récit tragique et poignant, où l'on voit se déchaîner, portées à leur paroxysme, toutes les passions humaines.
De par sa dimension véritablement planétaire, la Seconde Guerre mondiale, le plus grand confl it de l'histoire par ses destructions, le nombre de ses victimes et les bouleversements provoqués dans l'ordonnancement du monde, a dominé le paysage mental de plusieurs générations d'êtres humains. Malgré l'extraordinaire profusion de livres, de films et de documentaires sur le sujet depuis presque soixante-dix ans, notre connaissance du conflit reste fragmentaire et souvent déformée par le prisme de l'« histoire officielle » propre à chaque nation. Antony Beevor, en déployant l'exceptionnel talent de conteur qui a fait de Stalingrad, de La Chute de Berlin et de D-Day des best-sellers internationaux, réunit ici les éléments disparates de la petite histoire pour composer la mosaïque de la Grande Histoire telle qu'elle ne nous est jamais apparue, chaque élément prenant la place qui lui revient réellement. Sur la base de documents anciens comme d'archives inédites, avec le style limpide et la compassion qui le caractérisent, Antony Beevor nous emmène de l'Atlantique Nord au Pacifique Sud, de la steppe sibérienne au désert de Lybie, de la jungle birmane à Berlin sous les bombes, des lambris dorés des chancelleries à Leningrad assiégé, sans rien nous épargner des horreurs de la guerre, qu'il s'agisse des Einsatzgruppen à l'arrière du front de l'Est, des prisonniers du goulag enrôlés de force dans des bataillons-suicides, ou des exactions sadiques perpétrées par l'armée impériale japonaise en Chine. En peignant cette fresque aux proportions proprement héroïques, Antony Beevor ne perd jamais de vue le destin individuel des militaires et des civils dont les vies furent broyées par les forces titanesques déchaînées par ce conflit, le plus meurtrier de l'histoire de l'humanité.
Le 17 septembre 1944, le général Kurt Student, créateur des forces aéroportées allemandes, entend le rugissement crescendo d'un grand nombre de moteurs d'avion. Il sort sur la terrasse de la villa qu'il occupe et qui domine le plat pays du sud des Pays-Bas pour regarder passer l'armada de Dakota et de planeurs qui convoient les 1re division parachutiste britannique et les 82e et 101e divisions aéroportées américaines. Ce n'est pas sans une pointe de jalousie qu'il contemple cette démonstration de force aéroportée.
Market Garden, le plan du maréchal Montgomery consistant à donner le coup de grâce à l'Allemagne nazie en capturant les ponts hollandais donnant accès à la Ruhr était audacieux. Mais avait-il la moindre chance de réussir ? Le prix à payer quand il s'avéra un échec fut effroyable, en particulier pour les Néerlandais qui avaient tout fait pour aider leurs libérateurs éphémères. Les représailles allemandes furent cruelles et sans pitié, et ce jusqu'à la fin de la guerre.
Quant à Arnhem et Nimègue, villes cartes-postales au coeur de l'Europe civilisée, elles se retrouvèrent, à l'arrêt des combats, dévastées et jonchées des cadavres d'innombrables jeunes soldats qui avaient payé de leur vie l'hubris de leur haut commandement.
En puisant dans une documentation prodigieuse et parfaitement maîtrisée composée pour beaucoup d'archives inexploitées hollandaises, britanniques, allemandes, américaines et polonaises, Antony Beevor nous fait vivre la terrible réalité d'une bataille dont le général Student lui-même prédit avec lucidité qu'elle donnerait à l'Allemagne sa « dernière victoire ».
Son récit implacable, qui alterne les gros plans et les vues d'ensemble, nous plonge au coeur même de la guerre, et rend hommage à des milliers de héros anonymes que l'Histoire a oubliés.
L'Historie est, hélas, féconde en exemples de massacres collectifs. Jamais, toutefois, une tentative d'extermination d'un peuple ne fut aussi systématique que l'élimination des Juifs entreprise par Hitler et le IIIe Reich. Bien des voix, depuis, se sont élevées pour dire l'indicible, pour faire en sorte que l'horreur ne soit jamais atténuée par les années, peut-être même banalisée. Mais, très tôt, un homme réussissait, avec une douloureuse objectivité, à démonter le terrible mécanisme de l'holocauste : Léon Poliakov.
Son Bréviaire de la haine, préfacé par François Mauriac, se devait d'être réédité, car, au-delà des passions, c'est l'oeuvre authentique d'un historien. Après cinq ans d'étude des archives allemandes, d'interrogatoires des témoins et des victimes, il a pu mettre à jour les rouages implacables de la technique qui a permis, au XXe siècle, de tuer six millions d'hommes pour des raisons purement raciales. De la promulgation des premières lois anti-juives à la "solution finale", un processus a été mis au point par Hitler qui, débutant sur des bases légales, a peu à peu pris la forme d'une idéologie raciste de plus en plus perfectionnée : mesures limitant les activités économiques des Juifs, sacralisation de l'Aryen, incitation aux progromes, utilisation des plus bas instincts. Dans l'Europe enitère, ce fut alors un embrasement dément et démoniaque, un piège de la haine où ont été pris, avec les Juifs, les Allemands eux-mêmes et les racistes de pays occupés.
Ce processus implacable, il est nécessaire d'en connaitre la nature. aucun peuple, en effet, ne peut être certain qu'il n'en sera plus l'auteur, ou la victime.
La bataille de Stalingrad, qui commença le 23 août 1942, fut sans doute le tournant psychologique de la Seconde Guerre mondiale. Parce que la grande ville industrielle sur la Volga portait son nom, et parce qu'une victoire allemande aurait loupé la Russie en deux, Staline décréta : « Pas un pas en arrière ! », et veilla à ce que le NKVD fasse respecter sa consigne à la lettre. S'ensuivirent quatre mois de guerre urbaine impitoyable qui se terminèrent par l'encerclement et la reddition de la 6e Armée de la Wehrmacht. Cette bataille et ses retombées coûtèrent la vie à 500 000 hommes de part et d'autre et firent le double de blessés, sans compter les victimes civiles, innombrables.
Stalingrad est le livre référence sur le sujet. Parfaitement documenté et enrichi des témoignages de nombreux survivants, il fait vivre au lecteur cette « mère de toutes les batailles » au plus près de l'action, du « Wolfschanze » de Hitler en Prusse-Orientale aux lignes de front, qui bougeaient sans arrêt et qu'on se disputait à la grenade, au lance-flammes et au corps à corps.
Stalingrad a été publié pour la première fois en français en 1999. Cette « édition des 20 ans » intègre nombre d'ajouts et de corrections apportés au texte par l'auteur au fil des années, ainsi qu'un avant-propos inédit, écrit spécialement pour la réédition française, fourmillant d'anecdotes et racontant notamment comment il put avoir accès à des archives russes inaccessibles avant la Perestroïka, et qui furent mises sous embargo par le Kremlin peu après la publication du livre.
Dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, Roms et Sinti furent la cible de persécutions multiples et de violences génocidaires dont la chronologie et l'intensité varient selon les territoires de l'Europe. Ces persécutions ont concerné des Roms, Sinti, Manouches et Gitans, ainsi que des groupes associés par l'histoire aux mesures antitsiganes et désignés par leur profession ou leur mode de vie supposé, comme les Yéniches, les vanniers, forains, circassiens et voyageurs. En Europe de l'Ouest, plusieurs termes furent employés pour qualifier cette population définie ou désignée comme Zigeuner, en allemand et hollandais et Zingari, en italien. En France, le terme nomades fut employé pour désigner les personnes relevant du régime discriminatoire imposé par la loi du 16 juillet 1912.
L'occultation souvent délibérée et la reconnaissance tardive des persécutions contribuèrent à la marginalisation, dans les historiographies et les mémoires nationales, de faits qui entraînèrent l'élimination physique de plus de 200 000 personnes à l'échelle de l'Europe et la dislocation irréversible des société romani d'avant-guerre. Même si de nombreuses zones d'ombres demeurent, les chapitres de cette histoire apparaissent désormais très clairement : un premier processus comprend la ségrégation dès 1933, la définition raciale, la déportation et l'assassinat des Roms et Sinti dans les territoires du Grand Reich comprenant l'Allemagne, l'Autriche, la Bohême-Moravie, la Pologne annexée ainsi que l'Alsace-Lorraine, le Luxembourg et une grande partie de la Slovénie ; un second processus entraîne une répression ciblée et meurtrière au sein des États alliés comme la Croatie, la Hongrie, la Slovaquie ou la Roumanie ; un troisième processus implique l'élimination physique et systématique à l'Est, lors de l'avancée des groupes mobiles de tuerie, de la Baltique à la Crimée.
Ce numéro de la Revue d'histoire de la Shoah porte sur les persécutions et les violences génocidaires commises dans plusieurs pays de l'ouest de l'Europe, aux Pays-Bas, en France et en Italie. Dans ces territoires, le caractère composite des outils répressifs traduit une grande pluralité de dispositifs suivant l'application variable des mesures antitsiganes : assignations à résidence, détentions, internements, concentrations, exécutions ciblées ou aléatoires, déportations vers les centres de mise à mort ou le réseau concentrationnaire. Les articles de ce numéro permettent d'éclairer la diversité des logiques à l'oeuvre, les modalités distinctes des violences et leurs effets sur les collectifs visés. L'écriture de cette histoire multiple, à travers l'exploration de nouvelles archives, l'étude de destins individuels et collectifs, ainsi que la mémoire des faits sont au coeur des études publiées dans ce numéro. Il fait suite au programme ANR RomaResist, Dislocations et résistances. Violences génocidaires et persécutions des Roms, Sinti et Voyageurs en Europe de l'Ouest, 1939-1946, dirigé par Ilsen About au sein de l'EHESS.
Jérôme Cordelier est parti à la rencontre de ces chrétiens, catholiques, protestants, orthodoxes qui résistèrent aux nazis et dont les rôles sont de nos jours minimisés.
On a souvent souligné les compromissions avec Pétain et le régime de Vichy des chefs des Églises, à raison, mais sans se souvenir que plusieurs d'entre eux furent aussi reconnus Justes pour avoir sauvé des juifs. On a oublié, surtout, que de nombreux prêtres, pasteurs, religieux, religieuses et une multitude de simples croyants furent parmi les premiers à se dresser contre l'occupant. Certains ont agi sur le devant de l'Histoire - de Gaulle et Leclerc, au premier chef -, la plupart dans un secret absolu.
De la Corrèze jusqu'à Yad Vashem à Jérusalem, cette enquête de terrain, très documentée et nourrie des confidences de survivants, met l'accent sur ces femmes et ces hommes qui se sont engagés, parfois sacrifiés, pour la liberté, leur patrie mais aussi avec la haute idée qu'ils se font de l'humanité. Au nom d'un idéal qui guidait leur vie, ils se sont battus pour que leurs contemporains vivent la leur. Ils n'ont pas toujours combattu au nom de leur foi, mais celle-ci les a pétris, a été constitutive de leur vision du monde et les a soutenus à travers les épreuves. Ces grands témoins peuvent éclairer de leur halo de lumière nos chemins cabossés
Ils sont 1 032 hommes et 6 femmes à avoir été reconnus par le général de Gaulle comme ses Compagnons « pour la Libération de la France dans l'honneur et par la victoire ».
Aux lendemains de la guerre, ils n'étaient déjà plus que 702, 65 ayant été tués durant les combats et 271 décorés à titre posthume. Le dernier Compagnon, l'ancien ministre Hubert Germain, a donné son accord pour aller occuper à sa mort, selon la volonté du général de Gaulle, le seul caveau laissé vide dans la crypte du Mont Valérien. Se refermera alors une épopée probablement unique dans l'histoire de France.
Ils étaient soldats, civils, étudiants, enseignants, agriculteurs, pêcheurs, mariés ou célibataires, croyants ou athées, français ou étrangers. Ils se sont battus partout dans le monde et dans chaque recoin de France. En apparence, leurs points communs étaient rares. Peut-être même n'y en eut-il qu'un seul, mais il est primordial : chacun de ces 1 038 Compagnons eut à se confronter, souvent en quelques minutes, à la question essentielle du sens de sa vie face au sort infligé à son pays.
Jean-Christophe Notin invite à s'interroger sur ce dilemme en proposant pour chaque jour de l'année le portrait dépouillé d'un Compagnon avec sa photo captivante. Se dégagent ainsi de ces centaines de trajectoires les principes universels de la liberté, de l'espoir, de la volonté, du dévouement.
« Auschwitz ce n'était rien [après Treblinka], Auschwitz c'était un camp de vacances. » Ainsi s'exprimait Hershl Sperling, l'un des très rares survivants du plus effroyable centre de mise à mort de l'Aktion Reinhard. Son propos peut sembler sacrilège au lecteur peu informé de la réalité de Treblinka. En effet si le nom de ce site est connu, son histoire, comme celle de Belzec et de Sobibor, l'est beaucoup moins, les nazis ayant pris grand soin d'effacer les traces de leur entreprise barbare, de liquider les derniers témoins et de raser les vestiges qu'ils abandonnaient. D'où le défi que pose cette « impossibilité de rendre compte ». Ainsi, dès 1943, le site de Treblinka avait-il déjà repris l'aspect d'une exploitation agricole.
Dernière halte d'un chemin noir tracé depuis Berlin, Treblinka, parmi tous les centres de mise à mort, devança Auschwitz en efficacité. C'est là que la destruction des Juifs fut le plus « expéditive » : près d'un million de personnes y furent assassinées en 400 jours. S'appuyant sur des sources inédites, Michal Hausser Gans décrit en détail, depuis sa genèse, le fonctionnement du camp, soulignant les transformations entreprises pour perfectionner la machine de mort. Jusqu'à la révolte du 2 août 1943, relatée par certains des survivants qui, contre toute attente, parvinrent à gripper la machine de ce modèle insurpassé de l'industrie génocidaire.
Cette étude exhaustive permet pour la première fois de rendre accessible à un large public la confrontation avec « le pire du pire » et avec ce cheminement vers l'horreur que l'Europe échoua si longtemps à déchiffrer.
Intitulé « Nouvelles recherches sur la Shoah en Pologne », ce dossier rassemble des contributions portant sur des approches novatrices, aussi bien de termes de sources nouvelles mobilisées que d'approches. Les sources et récits des victimes et rescapés juifs sont mobilisés dans leur croisement avec les documents officiels et clandestins de l'époque. Les écrits pionniers des historiens survivants de la Shoah, à l'instar de Nachman Blumental, directeur de l'Institut d'histoire juive de Varsovie jusqu'en 1949, sont redécouverts et appréciés pour leur clairvoyance précoce.
L'approche micro-historique met en valeur la diversité locale des situations, tout en révélant des mécanismes comparables dans la persécution et la (faible) survie des Juifs dans les villes les plus connues (Varsovie, Lodz) ou plus modestes (Tarnow). La prise en compte de la matérialité - celles des corps après les gazages dans les centres de mise à mort comme Belzec ou Sobibor, mais aussi celle des déchets accumulés dans les ghettos - offre des clefs supplémentaires d'intelligence du quotidien de ces hommes, femmes et enfants traqués, enfermés ou cachés, et le plus souvent anéantis dans d'immenses souffrances.
Enfin, l'histoire de l'extermination des Juifs de Pologne gagne à être replacée dans le temps long, permettant de voir non seulement les dynamiques d'exclusion rhétoriques et effectives à l'oeuvre dans la Pologne de l'entre-deux-guerres mais aussi la très longue ombre portée de la Shoah bine après la guerre et jusqu'à aujourd'hui. Ce numéro est d'autant plus essentiel à l'heure où s'épanouissent en Europe des discours de distorsions sur l'histoire de la Seconde Guerre mondiale et sur la Shoah, visant à remettre en cause des acquis irréfutables et consensuels de la science historique au profit d'une narration plus confortable pour les sociétés, mais malhonnête et pouvant même légitimer des actions politiques les plus violentes.
Arthur Koestler, militant communiste, et Juif hongrois d'origine, aura connu beaucoup des années sombres de l'Europe. Durant l'hiver 1941, alors qu'il a été interné au camp du Vernet en Ariège par la République française en tant que communiste, il écrit son témoignage La Lie de la terre. Au Vernet, Koestler expérimente l'absurdité d'une administration française qui enferme les ennemis de ses ennemis, des réfugiés antifascistes et antinazis qui, parce qu'allemands ou autrichiens de nationalité, ou communistes de conviction, sont considérés a priori comme une potentielle « 5e colonne ».
C'est un camp disciplinaire où les conditions d'hygiène, la sous-alimentation, le froid, la surveillance continue, l'ennui, le désespoir couplé à l'impuissance, rongent chacun. Koestler aura connu ces affres, et c'est cette violence nue qu'il rapporte sans pathos. Ce texte donne à comprendre comment dans la crainte d'une nouvelle marche à la guerre, une partie de l'opinion française se radicalise dans les années 1937-1939.
Il montre aussi le drame des communistes depuis septembre 1939, la trahison de Staline, leurs contorsions pour rester fidèles au Parti, les désillusions et les divorces. Enfin, La Lie de la terre met en lumière la tragédie de l'État moderne devenu machine répressive et antichambre du génocide : les Allemands n'auront qu'à se fournir en victimes dans les camps d'internement français. Ces victimes ce sont « les indésirables » dont parlait la droite française des années trente, c'est la « lie de la terre » épinglée par la presse collaborationniste, ce sont eux qui nourrissent ces camps, sas de l'horreur.
C'est de là que partent les transferts à Drancy puis Auschwitz. Le Vernet de Koestler est le premier cercle de l'enfer qui conduit à la mort ignominieuse de la Shoah.
Leïb Rochman écrit son Journal entre 1943 et 1944 au moment où il vit caché derrière une double cloison chez une paysanne polonaise puis dans une fosse creusée dans une étable avec d'autres compagnons polonais, allemands, russes ou ukrainiens. Il ne livre jamais sa localisation exacte, il cite toujours, avec une extrême prudence, un village ou un lieu-dit à une certaine distance.
Ils passent des jours entiers, en rang d'oignons, les visages tournés vers le mur sans possibilité de s'asseoir. Avec talent, Leïb Rochman réussit à faire entendre le monde extérieur, l'écho des animaux, les détonations des tueries, les conversations de leur hôte avec les villageois. Le texte frappe par la force de leurs relations, de l'amour qui les lie entre eux et avec le peuple juif, et qui leur permet de survivre.
Leib Rochman nous fait entendre une voix folle de douleur mais il raconte aussi qu'en dépit de tout, lui et ses compagnons continuent d'observer l'essentiel des lois du judaïsme. Il nous livre ici une conception du monde pétrie de Torah (Pentateuque et plus largement Premier Testament) qui se déploie au fil des pages.
Jusque dans son approche des animaux domestiques, des souris et des mulots, des déflagrations et du tonnerre des combats et, bien sûr, des eaux qui les submergent dans leur dernière cachette, l'empreinte divine, le caractère cataclysmique et annonciateur d'une ère nouvelle ou de la fin du monde sont omniprésents.
Leur foi constitue l'un des aspects les plus poignants de ce témoignage. Ils ne cessent d'être portés par leur aspiration à construire une vie nouvelle comme à se reconstruire en tant qu'êtres humains, libres, dans un lieu où les Juifs seraient enfin les maîtres de leur destin. Un État juif, précise Rochman en Eretz-Israël. Là même où il s'éteindra en 1978.
Soixante ans après la fin de la guerre, est-il encore nécessaire d'en parler ?
Le XXe siècle qui vient de s'achever aura été le temps des génocides, depuis la tuerie programmée des Herero dans le Sud Ouest africain sous tutelle allemande en 1904 jusqu'au massacre planifié des Tutsi du Rwanda en 1994. À l'heure où s'effacent de notre horizon les derniers témoins de la Shoah, eux qui au dire de Primo Levy ne pouvaient témoigner des fosses communes et des chambres à gaz, l'histoire seule sera bientôt en charge de transmettre aux générations montantes la vérité du siècle écoulé. Et parce que ni le temps ni le « devoir de mémoire » ne seront de mise face à la marée de l'oubli, le travail historien sera l'un des principaux, sinon le principal vecteur de cet effort.
La Shoah ne fut ni un « désastre juif » ni une « histoire allemande », mais la catastrophe humaine par excellence. En effet, l'Allemagne hitlérienne a rompu la trame de ce qui, jusque-là, faisait les rapports humains. Dès lors qu'on n'« a plus rien vu de sacré dans la nudité abstraite d'un être humain » (Hannah Arendt), ce n?est pas seulement l'humanité juive qui a été détruite à Auschwitz, mais la notion de personne humaine.
C'est pourquoi cette histoire, loin d'être un ressassement morbide du passé, est une réflexion actuelle nourrie par les chroniques des témoins et les analyses des historiens. Le Mémorial de la Shoah et les éditions Calmann-Lévy conjugent leurs efforts pour donner à lire au public francophone les oeuvres françaises et étrangères qui constituent cette connaissance essentielle pour l'avenir du siècle qui commence.
Qu'est-il advenu des cimetières juifs, certains récents, d'autres immémoriaux, dans la persécution et la Shoah ? Paysages péri-urbains ou ruraux singuliers, ils ont, comme toutes les institutions juives, été bouleversés en Allemagne dès 1933 puis tout au long de la guerre. Suicides et déportations s'y lisent. Parfois, ils ont disparu et été désacralisés, tandis que les corps ont été transférés dans des fosses communes. Pourtant, la plus grande partie des cimetières juifs d'Allemagne et d'Europe n'ont pas été détruits par les nazis.
Pendant la guerre, le cimetière juif fut un espace de passage, de transit au coeur de la ville hostile (comme le cimetière juif de Varsovie, adjacent au ghetto) ; il servit à rassembler les Juifs et à leur donner refuge, lorsque tous les autres lieux leur étaient interdits ; il fut le dépôt ultime des corps des victimes (juives ou non) auxquels était refusé tout traitement funéraire humain, entraînant l'ouverture de fosses communes ; il offrit aussi un cadre aux exécutions.
Après la Shoah, les cimetières abandonnés, privés de leurs morts « naturels », sont demeurés les lieux témoins de la catastrophe juive, en dépit des mouvements de réenterrement - les parents survivants recherchant les corps des disparus pour les rendre au cimetière juif. À l'absence des tombes répond la construction de milliers de mémoriaux dans les cimetières mêmes, dédiés à ceux qui sont morts dans les camps, dans la clandestinité.
Lieu du recueillement, lieu pour penser à la mort des disparus de la Shoah, le cimetière juif est aussi le lieu des traces d'années de persécution, celles gravées sur les pierres tombales des morts prématurées, celles que forment les espaces vides, en attente de morts jamais venus...
Si le rôle des Einsatzgruppen dans les assassinats de masse des Juifs en Europe centrale et orientale est bien connu entre 1941 et 1943, ils firent près de deux millions de morts sur le territoire de l'Union soviétique , la « deuxième vague » de massacres l'est moins. Elle est pourtant constitutive de l'ampleur de la Shoah. En 1942, ces massacres tournèrent à un véritable génocide de voisins, déferlement d'actes de barbarie et d'abominations perpétrés par une foule de civils encadrés de policiers, volontaires ou enrôlés de force, qui ne laissèrent aucune chance à des femmes et à des hommes transformés en bêtes traquées fuyant l'extermination.Martin Dean démontre, témoignages inédits à l'appui et à l'aide de rapports, enquêtes et statistiques, que cette explosion de cruauté dépasse largement le cadre d'une entreprise bureaucratique. En Biélorussie et en Ukraine, la Shoah n'a pas uniquement revêtu le caractère impersonnel et industrialisé des chambres à gaz, mais s'est caractérisée par la proximité des bourreaux et de leurs victimes, voisins et parfois amis, originaires d'un même village.La Shoah n'aurait jamais pu revêtir cette ampleur colossale sans la participation active des policiers recrutés localement pour épauler les forces allemandes d'occupation. Martin Dean ne donne donc pas seulement à voir un crime allemand, il dévoile un crime européen.
Au début des années 90, alors que l’empire s’écroule et qu’on croyait tout savoir sur la terreur soviétique, les archives les plus secrètes du régime, du Comité central, du KGB et de la Guépéou vont devenir accessibles pendant une courte période de temps et révéler une barbarie insoupçonnée.Alexandre Yakovlev est alors un ancien responsable du régime chargé, sous Gorbatchev, de recenser et de réhabiliter les victimes du communisme dans son pays. De ces archives, il tirera cet inventaire méthodique et détaillé des crimes du système soviétique, de l’époque de Lénine jusqu’à la perestroïka. Il y dénonce la prédilection de Lénine pour les prises d’otages, considérées comme un moyen de consolider le système ; les mauvais traitements de près d’un demi-million de prisonniers de guerre, rentrés au pays après la guerre finno-soviétique ; les terrifiants échanges entre Staline et Romain Rolland sur la punition des enfants et des adolescents ; les nombreuses intrigues et dénonciations visant divers artistes et écrivains ; la persécution des compagnies théâtrales et des cinéastes dans les années 30 ; le sort réservé à la minorité coréenne ; les préparatifs de la déportation des Juifs à l’époque du « complot des blouses blanches », juste avant la mort de Staline…Il revient sur les mesures de répression touchant les minorités ethniques ou nationales dirigées notamment contre les Ukrainiens, les Allemands de la Volga, les Tatars de Crimée, les Ingouches, et étudie – de façon particulièrement pertinente aujourd’hui – les mauvais traitements infligés dès les années 30 par les Soviétiques aux Tchétchènes.Cet ouvrage n’a rien d’un compte rendu clinique et froid. Fondé à la fois sur l’expérience personnelle de l’auteur et sur l’accès privilégié qu’il a pu avoir à certaines sources, c’est un cri de révolte et de honte lancé au soir de sa vie par un homme brisé par ses découvertes.
Quelques semaines après l'invasion allemande de la Pologne, pressentant que des temps lourds de dangers s'ouvrent devant eux, Emanuel Ringelblum et quelques Juifs de Varsovie mettent en place une équipe de collecte d'informations et de documents qui se réunit chaque samedi sous le nom d'Oneg Shabbat, « la joie du shabbat ».
La finalité de cette collecte va changer avec le temps : de preuves pour l'après-guerre, elle devient une accumulation de preuves pour les générations à venir. Témoignage du désastre sans précédent qui prétend éradiquer un peuple décrété « en trop » sur la terre.
Dans le même temps, Ringelblum tient un Journal, rédigé en yiddish, de façon intermittente, en un style parfois haché, voire sibyllin. Au fil des mois, la description de l'effroyable misère organisée par les Allemands prend le dessus. S'impose la description (et la colère froide qui l'accompagne) de la trahison d'une partie des classes dominantes juives, de la bassesse de beaucoup, de la trahison d'une poignée. Mais l'auteur met aussi en lumière la solidarité et la vivacité de la résistance culturelle à ce martyre. Réquisitoire implacable, ce texte, par ses notations sèches qui ne cèdent jamais à l'indignation de posture, fustige l'égoïsme de classe qui structure les sociétés juives. Comme les autres.
La présente traduction de ce manuscrit retrouvé à la Libération comprend l'intégralité des chroniques quotidiennes de Ringelblum. Après la publication d'une partie des archives d'Oneg Shabbat il y a dix ans, elle complète l'édifice des voix d'outre-tombe venues du judaïsme de Varsovie.
De très nombreux documents, exhumés récemment, sont venus affiner notre perception de l'occupation allemande de Kiev pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais ce vaste ensemble de cartes, relevés topographiques, lettres, photographies et pièces d'archives, s'il évoque les aspects militaires, politiques et administratifs de la présence ennemie, ne donne pas à voir la vie des habitants et de la ville entre 1941 et 1943.
Rédigé dans un style sobre et précis, le journal d'Irina Khorochounova, jeune bibliothécaire issue de la bourgeoisie russe traditionnelle, apporte un éclairage inédit sur le quotidien des citadins. Travaillant au contact des Allemands, l'auteur décrit avec force détails certains épisodes douloureux, comme la collaboration de certains nationalistes ukrainiens ou le pillage des bibliothèques par les forces d'occupation. Touchée de près par les arrestations, elle porte un regard personnel sur les prisonniers de guerre, le marché noir, les expulsions et la terreur qu'inspirent dans toute la population les rafles pour le travail forcé en Allemagne. Et l'arbitraire qui y préside.
Le rôle de la Waffen-SS dans la Shoah essentiellement en 1941 et 1942 est l'une des friches de la recherche : jusqu'ici, aucune monographie ne lui a été consacrée. De même la participation du Kommandostab Reichsführer-SS de Himmler est-elle encore largement inexplorée, fait d'autant plus étonnant que lejournal de guerre de 1941 du Kommandostab est édité depuis longtemps et que la progression meurtrière des brigades de Himmler dans l'est de l'Europe est donc connue. S'appuyant sur de nombreuses sources, Martin Cüppers montre que la responsabilité de la Shoah ne repose pas sur les seuls bataillons de l'Ordnungspolizei et des unités du Reichssicherhauptamt de Heydrich, mais que la Waffen-SS et le Kommandostab y participèrent activement.
Historien et enseignant, Willy Cohn (1888-1941) apparaît comme l'une des figures intellectuelles majeures de la Breslau juive de l'entre-deux-guerres (actuelle Wroclaw, en Pologne). Issu d'un milieu aisé, Cohn, médiéviste reconnu, ne put accéder à la carrière académique à laquelle il aspirait du fait des discriminations vivaces contre les Juifs, et ce en dépit de la bonne réputation dont il jouissait dans cette ville alors allemande. Il assista à l'exode de nombreux Juifs de Breslau, à l'horreur de la Nuit de Cristal en 1938 et à la détresse des Juifs qui étaient restés et qui ne pouvaient plus fuir. Bien que tentés par l'exode en Erets Israel, Cohn et sa famille ne purent mener ce projet à bien et furent déportés et assassinés en Lituanie en 1941.
Jour après jour, ce journal reflète la vie quotidienne des Juifs de Breslau, alors que s'impose le nazisme et, avec lui, l'écrasement et l'humiliation de la communauté juive, la troisième d'Allemagne. Face aux incertitudes et aux difficultés de la vie quotidienne, c'est dans la foi seulement que Cohn trouve quelque réconfort. Ces cahiers font écho aux Mémoires qu'il a laissés et constituent, avec le journal de Dresde de Viktor Klemperer, un exceptionnel témoignage de la chute programmée d'une communauté juive au sein du Reich.
« J'étais possédé par la passion d'écrire des notes qui me permettraient plus tard (je le pensais déjà) de reconstruire l'histoire inouïe de la région de Zamosc et de la Pologne. » Médecin et directeur d'hôpital dans une petite ville de l'est du pays en 1939, Zygmunt Klukowski rapporte au jour le jour, « les dents et les poings serrés », ce qu'il a vu du génocide des Juifs, perpétré sous les yeux de tous. Il dit comment ils furent discriminés, expropriés, humiliés, battus, puis déportés vers un centre de mise à mort quand ils n'étaient pas assassinés sur-le-champ. Au fil des lignes s'étire ce long martyre protéiforme perpétré par l'occupant allemand et ses complices, commis dans l'indifférence, voire applaudi sinon encouragé par une partie de la population chrétienne.
Mais Klukowski témoigne aussi de la féroce répression allemande à l'encontre des Polonais non juifs, du pillage de leurs biens, de l'enlèvement de leurs jeunes enfants envoyés dans le Reich pour y être « aryanisés », de la déportation des adultes pour le travail forcé, du massacre de leurs élites.
Ce notable respecté, loin de rester spectateur de l'assassinat ou de la déportation de ses amis, entre dès le début de la guerre en contact avec les réseaux de l'Armée de l'Intérieur qui nourrissent les maquis. En 1944-1945, il assiste, impuissant et désespéré, à l'occupation du pays par les Soviétiques. Il témoignera, en 1947, au procès de Nuremberg.Acte de résistance et document historique majeur, ce journal, après ses éditions polonaise et anglaise, est pour la première fois publié en France.