En s'ouvrant à l'Ancien Testament, la collection Verbum Salutis devait sans tarder faire sa place au Deutéronome. Bien qu'un classement dans ce domaine n'ait guère de sens, on doit considérer ce livre comme un des plus importants de l'Ancien Testament. En lui convergent tous les courants qui animaient la vie religieuse d'Israël à l'époque de la monarchie : alliance, sagesse, prophétisme s'y retrouvent dans une synthèse parfaitement équilibrée. Le Deutéronome constitue un résumé complet de cette étape de la révélation qui s'achève avec l'exil à Babylone au VIe siècle. Il y aura encore d'autres étapes marquantes dans la révélation : elles supposeront toujours celle-là.
Le Deutéronome est un livre relativement long sur lequel il y aurait énormément à dire. Pour garder au commentaire des dimensions raisonnables, il fallait choisir. Dans l'optique de la collection, l'auteur a surtout cherché à mettre en évidence le message adressé jadis à Israël mais qui vaut pour le peuple de Dieu dans tous les temps. Pour saisir ce message, un travail d'érudition considérable est nécessaire ; si on ne présente ici que les résultats de ces recherches, elles restent toujours à l'arrière-plan du commentaire, ne serait-ce que par les références bibliographiques qui permettent au lecteur de prendre, s'il le veut, un contact direct avec les travaux des spécialistes sans lesquels on ne pourrait rien dire de sérieux sur ce livre attachant, mais d'un abord parfois difficile.
Lorsque Dieu rappela à lui le P. LÉONCE DE GRANDMAISON, cette disparition soudaine provoqua une grande émotion. Depuis, les années ont passé. Chez ceux qui n'ont connu que du dehors l'écrivain, le conférencier, le directeur de revue, son souvenir s'efface. Mais ceux qui ont reçu de lui une impression plus profonde - et ils sont nombreux - sentent que les mois, les années ne l'ont point effacée de leur mémoire.
Dans cet extrait de la grande oeuvre du P. DE GRANDMAISON, on retrouve son âme à la fois vigoureuse et sensible, sensible aux valeurs humaines et vigoureuse dans sa foi théologale. Derrière le théologien et l'exégète, c'est le spirituel qui apparaît dans ces pages. Ce qui les anime, c'est l'amour fervent et dévoué qu'il avait voué à la personne du Christ dès sa jeunesse et dont le livre de la maturité atteste la profondeur. Le prix de ce témoignage est une raison valable de continuer à rendre ce livre accessible à tous. N'a-t-on pas dit et écrit que ces pages étaient les plus belles que nous ait données le P. DE GRANDMAISON ?
L'épître aux Galates et les épîtres aux Thessaloniciens sont probablement les écrits les plus anciens du Nouveau Testament. L'une annonce la fin d'un monde, le monde de l'Ancien Testament, les deux autres la fin du monde, comme disait jadis le P. Prat. Les vues qu'elles exposent sur l'abolition de la loi mosaïque, et les perspectives qu'elles ouvrent sur les derniers temps et le retour glorieux du Sauveur leur confèrent un intérêt de premier ordre. Ces textes vénérables permettent en outre de saisir sur le vif l'antique prédication paulinienne, les préoccupations des premières églises' fondées par le grand Apôtre, les troubles qu'il eut à dissiper chez les néophytes, les directions et les conseils qu'il leur prodigua. On ne peut se retenir d'y admirer, vingt ans à peine après la Passion, la cohérence et la maturité de la doctrine, en même temps qu'une richesse spirituelle qui ne sera jamais dépassée. Nous avons essayé de rendre accessibles ces splendeurs, dont l'expression très personnelle et la plénitude parfois déconcertante risquent d'être un écueil pour le lecteur non préparé, évitant le plus possible les exposés trop techniques, mais sans sacrifier cependant ce qui a paru nécessaire à l'intelligence du texte sacré. Puissions-nous aider les chrétiens à mieux pénétrer les grands mystères de la rédemption, de la vie surnaturelle, de l'appel universel des hommes à la foi en Jésus-Christ et des fins dernières, si magnifiquement évoqués par saint Paul. Au milieu des événements d'Apocalypse auxquels nous assistons, il importe plus que jamais de s'attacher inébranlablement à l'espérance de l'Évangile et au service de Celui qui s'est livré pour nous et qui vit en nous, dans le renoncement à ce qui est vieilli, les yeux fixés sur les biens à venir et dans l'attente du Jour où le Seigneur Jésus viendra nous prendre afin que nous soyons avec lui pour l'éternité.
Le P. LÉGASSE est né le 8 juin 1926 à Saint-Pierre (îles Saint-Pierre et Miquelon). A fait ses études de Théologie à l'Université Grégorienne et d'Exégèse à l'Institut Biblique de Rome et à l'École Biblique de Jérusalem. A également suivi des cours à l'Université de Strasbourg. En 1965, a soutenu avec succès devant la commission biblique une thèse de doctorat ès sciences bibliques sur le sujet : Le thème évangélique de l'enfant. S'est signalé par plusieurs articles concernant des sujets néo-testamentaires. Enseigne l'exégèse du Nouveau Testament à la Faculté de Théologie de Toulouse depuis novembre 1965.
Ce commentaire a été écrit pour ceux qui veulent boire à la source, là où l'eau reste toujours fraîche et pure. Pour s'y désaltérer, il faut y venir avec la soif du don de Dieu. Il en est de la parole du Seigneur comme de sa chair. Réduite à sa réalité toute matérielle, « elle ne sert à rien; c'est l'Esprit qui vivifie ». Elle sauve ou perd, selon qu'on se livre ou non à sa vertu divine.
Pourquoi envier le sort des contemporains de JésusChrist ? Beaucoup de ceux qui l'ont vu et entendu n'ont pas cru en lui, plusieurs l'ont persécuté, d'autres l'ont mis à mort. Pour être maintenant dans le ciel, assis à la droite de son Père, le Christ ne cesse pas d'enseigner: au milieu de nous. Son Évangile redit sans cesse au monde la « bonne nouvelle », dont il fut le messager.
Entre nous et le Maître il y a sans doute le témoignage du disciple; mais l'évangéliste est un témoin de la première heure. Le publicain Lévi, devenu l'apôtre de Jésus, peut bien dire, lui aussi, comme Jean son « condisciple » : Nous l'avons vu et nous lui rendons témoignage. A cette fin, l'Esprit du Sei- gneur lui inspira de nous laisser par écrit un précis des actions et des discours du Fils de Dieu.
Telle est la croyance de l'Église. Elle repose sur une tradition unanime et constante. Il est historiquement certain que l'apôtre saint Matthieu est l'auteur du premier de nos évangiles. Nous avons à ce sujet une série ininterrompue de témoignages catégoriques remontant jusqu'aux origines. Eusèbe de Césarée (265-340), qu'on appelle à bon droit le « père de l'Histoire ecclésiastique », les a cités en les appréciant. Les témoins du Ille siècle: saint Pantène, Clément d'Alexandrie, Tertullien, Origène, faisaient écho à de plus anciens: aux apologistes du ne siècle, notamment à saint Irénée de Lyon, à Papias de Hiérapolis, en Phrygie, qui, par l'intermédiaire des « presbytres », se rattachaient eux-mêmes à Polycarpe de Smyrne, et surtout à Jean d'Éphèse, le disciple bien-aimé, l'un des Douze, le dernier de ceux qui avaient vu le Seigneur. En attribuant le premier évangile à saint Matthieu, tous ces témoins s'expriment comme on parle d'un fait connu et incontesté .
Il est plus difficile de préciser la date. Cependant, on peut tenir pour certain que la composition de l'évangile selon saint Matthieu a précédé la ruine de Jérusalem, arrivée en l'an 70 de notre ère. C'est ce qui résulte du témoignage de saint Irénée. Eusèbe ne craint pas d'assigner une date plus primitive encore. D'après lui, « Matthieu, après avoir évangélisé les Hébreux, leur laissa par écrit son évangile avant de partir pour prêcher aux nations païennes. » (HE. III, XXIV) Dès lors, notre évangile daterait du milieu du 1er siècle, vingt ou vingt-cinq ans environ après les événements dont il a fait le récit.
Toute l'antiquité certifie que le texte original de saint Matthieu était écrit en hébreu. Entendons par là le dialecte sémitique, parlé par le peuple en Palestine, du temps de Jésus-Christ; la langue dans laquelle saint Paul harangua la foule à Jérusalem, le jour de son arrestation (Act., XXI, 40). Cette langue était l'araméen, qui depuis la captivité de Babylone avait graduellement supplanté l'hébreu. Celui-ci n'était plus employé que comme langue liturgique pour la lecture de la Bible, qu'on commentait au peuple en araméen.
Le sort de ce texte, précisément à cause de sa langue, fut lié aux destinées de l'Église palestinienne. On sait qu'elle disparut dans la catastrophe qui bouleversa de fond en comble le monde juif, en l'an 70. Pendant cette crise suprême, les chrétiens de Palestine, qui préféraient l'unité catholique au particularisme judaïsant, se réfugièrent dans la région de Pella, au delà du Jourdain, où ils ne tardèrent pas à se fondre dans les communautés de langue grecque. Les autres, devenus hérétiques sous les noms d'Ébionites ou de Nazaréens, végétèrent obscurément en attendant de s'éteindre. Il est difficile de dire dans quelle mesure l' oeuvre du premier évangéliste subsistait encore dans « l'Évangile selon les Hébreux », trouvé par saint Jérôme à Césarée de Palestine et à Bérée de Syrie (Alep), vers la fin du IVe siècle, et traduit par lui en grec et en latin. [.] Un commentaire n'a d'autre but que de mettre le texte à la portée du lecteur. Saint Jérôme avertissait les interprètes de l'Écriture, d'insister sur les textes obscurs et de passer rapidement quand le sens s'offre de lui-même. Il se plaint qu'un grand nombre aient conduit leurs commentaires d'après la méthode inverse : abundant in planis, deficiunt in salebrosis. A la suite de ce prince des interprètes, nous avons donné toute notre attention aux sentences doctrinales dont la profondeur tient, tout à la fois, au fond et à la forme. Elles nous révèlent le mystère du Royaume ,des cieux en style parabolique, avec une formule paradoxale, dans un milieu géographique, historique et moral, bien différent de celui où nous vivons, nous Occidentaux du xxe siècle. On a visé à la brièveté, mais il n'a pas été au pouvoir de l'auteur de faire plus court. Le moyen de dire en quatre lignes le sens d'une béatitude, d'une demande de Notre Père, du précepte fait par le Maître «de céder à la violence du méchant ! » [.] A deux ou trois exceptions près, les notes renvoient exclusivement au texte même des Écritures. Le lecteur s'apercevra sans peine que ces références ne sont pas du remplissage, elles signalent des textes parallèles ou complémentaires, donnant au texte de saint Matthieu précision et ampleur. Cette concordance, non plus seulement verbale, mais « réelle », comme on dit, est utile; voire même nécessaire, étant donné le caractère unilatéral de la sentence évangélique. Dans le genre gnomique, on envisage un objet comme s'il était seul au monde, comme s'il n'avait qu'un aspect. En réalité, l'enseignement de l'Évangile tient compte de tous les points de vue ; mais il laisse au lecteur de faire la synthèse, en groupant et en comparant les passages, qui concernent un même sujet (voir p. 60). L'Évangile parle en divers endroits des conditions que doit réaliser la prière, pour qu'elle soit infailliblement exaucée; et, chaque fois, il le fait comme s'il n'y avait pas d'autres conditions que celle dont il traite présentement.
La tradition de la primitive Église est unanime à attribuer le second évangile à saint Marc et les critiques modernes, même radicaux, ne contestent plus cette attribution. La même tradition établit un lien étroit entre saint Marc et saint Pierre : saint Marc nous a transmis dans son évangile la catéchèse du Chef des Apôtres. Les témoignages des Pères les plus anciens sont à cet égard très affirmatifs. Le premier et non le moins explicite est celui de Papias, évêque de Hiérapolis, en Phrygie, qui consignait par écrit, aux environs dtd'an 125, les traditions des temps apostoliques. Il nous rapporte les dires du presbytre Jean, qui avait été disciple du Seigneur et avait personnellement connu les Apôtres :
« Voici ce que le presbytre disait : Marc, ayant été interprète de Pierre, écrivit exactement, mais non de façon ordonnée, tout ce qu'il se rappelait des paroles ou des actions du Seigneur. - Car il n'avait' pas lui-même entendu le Seigneur et n'avait pas été son disciple, mais plus tard, comme je l'ai dit, il avait suivi Pierre. Celui-ci donnait son enseignement selon les besoins du moment, sans faire une composition ordonnée des sentences du Seigneur, de sorte que Marc n'est pas en faute de n'avoir écrit certaines choses et comme il se les rappelait. Il n'a eu qu'un souci, ne rien omettre de ce qu'il avait entendu et de rien dire de mensonger » Qu'on attribue toute cette déclaration, au presbytre Jean, ou qu'avec plusieurs critiques on arrête son témoignage après la première phrase pour voir dans le reste du passage les réflexions personnelles de Papias, l'essentiel de la tradition, - et d'une tradition qui par le presbytre remonte à la génération même des contemporains de saint Marc, demeure hors de conteste : Marc, après avoir assisté Pierre dans son enseignement, lui avoir servi de truchement poor faire passer en grec sa catéchèse araméenne, a rapporté par écrit cette prédication du Prince des Apôtres.
Le troisième évangile a été universellement reçu dans l'Église primitive comme l'oeuvre du médecin et disciple de saint Paul, appelé Luc. Jamais le fait n'a été contesté et dès la fin du IIe siècle les affirmations explicites attestent l'unanimité de l'adhésion à cette attribution. Le Canon dit « de Muratori », qui nous transmet l'écho de la tradition de l'Église Romaine, est pleinement d'accord sur ce point avec les témoignages des Églises d'Occident et d'Orient, tels que nous les font connaître saint Irénée et Tertullien, Clément d' Alexandrie et Origène.
Ce que nous savons de l'auteur révèle une physionomie très attachante. Originaire, croit-on, d'Antioche, Grec de race et d'éducation, notre évangéliste joint à la conscience du narrateur la sympathie de l'artiste, à l'objectivité de l'historien le charme d'une âme largement ouverte à tout Ce qui est humain. Il a le goût de la précision, mais non de la minutie. Parle-t-il d'institutions, de géographie, d'art nautique ou de médecine, il se montre informé, sans toutefois étaler une vaine érudition. Raconte-t-il un fait, il est moins préoccupé d'en décrire tout le détail des circonstances contingentes que d'en dégager la portée universelle. Derrière les choses, il voit les idées. Il les exprime en une langue plastique et sereine, qui se revêt parfois d'une discrète teinte sémitique, mais reste élégante en sa simplicité.
Héritier de la civilisation hellénique, saint Luc en a la fierté : naïvement, comme ses contemporains, il appellera « barbares » les habitants de Malte qui ne parlent pas le grec. Mais il n'a pas fermé les yeux sur les misères qui accompagnaient cette brillante culture. Il semble avoir entendu de la gentilité les poignants appels vers le Dieu inconnu. Il aurait pu chercher dans la philosophie la réponse des sages. Il fit mieux, il devint le disciple de Paul qui fut son « illuminateur » dans la voie du Seigneur Jésus. Non qu'il ait été par lui converti au christianisme, car l'Apôtre ne l'appelle jamais son fils. Mais après avoir été fait chrétien, probablement par les premiers prédicateurs de l'Évangile, qui vinrent de bonne heure à Antioche, il trouva dans saint Paul le maître incomparable qui lui donna l'intelligence du mystère de Jésus-Christ. S'il reçut en effet des témoins immédiats les matériaux de son récit, il apprit de l'Apôtre à en mettre en lumière les pensées directrices notamment cette « philanthropie » de Dieu, qui par le Christ et dans le Christ, appelle tous les hommes, sans distinction de caste ni de race, à l'unité du salut, et dont le mystère, caché aux siècles et aux générations, maintenant révélé aux saints, a éclairé la nuit du paganisme d'une lueur d'espérance. Ainsi l'auteur du troisième évangile se présente à nous avec l'autorité, non seulement de sa culture, mais de sa foi.
Celle-ci, loin de l'exposer à fausser l'image des faits, avive en lui le besoin de la retracer avec exactitude. Elle rend son intelligence exigeante. Elle stimule la curiosité de ses enquêtes auprès des autorités incontestables. Elle ajoute une garantie à ses dires.
De la vie de l'évangéliste nous ne connaissons guère que ce que nous laisse entrevoir le livre des Actes.
A Troas, Luc rencontre Paul, lors de sa seconde grande expédition apostolique, vers l'an 50. Il le suit en Macédoine, il s'en sépare quand l'Apôtre, en compagnie de Silas, gagne Thessalonique. Six ans plus tard, vers 56-57, lorsque Paul, revenant de Grèce, traverse la Macédoine, Luc le retrouve à Philippes. Il se rend avec lui à Jérusalem et à Césarée. La captivité de l'Apôtre lui procure alors des loisirs. Il dut en profiter pour parfaire sa documentation sur la vie du Christ. A ce moment, en 57- 59, des témoins oculaires pouvaient être encore interrogés : il y avait Jacques, dit « le frère du Seigneur », et les anciens de Jérusalem, plusieurs des saintes femmes et des disciples de la première heure, comme Mnason le Cypriote, le prophète Agabos, le diacre Philippe, père de quatre filles prophétesses ! Il y avait peut-être aussi la très sainte Vierge Marie, qui aurait eu entre soixante-quinze et quatre-vingts ans, et dont les confidences expliqueraient la fraîcheur que gardent dans le troisième évangile les récits de l'enfance de Jésus. Quand saint Paul quitte Césarée pour aller à Rome devant le tribunal de César, saint Luc s'embarque avec lui. A Rome, il collaborera, ainsi que plusieurs autres ; dont l'évangéliste saint Marc, à la propagation de la foi chrétienne par le grand apôtre.
Cette époque est plus probablement celle de la rédaction définitive du livre des Actes. Saint Luc avait déjà écrit son évangile. D'anciens prologues anonymes, dont le prototype grec remonte au IIIe siècle et peut-être même à la fin du second, en placent la composition en Achaïe. Telle est également l'opinion de saint Jérôme. De fait, tout suggère qu'il a été composé dans un milieu grec, peut-être à Corinthe, sans exclure l'hypothèse de son achèvement à Rome vers 63-64. Saint Luc demeurera un certain temps dans cette ville. Il est nommé parmi ceux au nom desquels saint Paul salue les chrétiens de Colosses et Philémon en des écrits qui datent de sa captivité. Mais il n'est plus mentionné dans l'épître aux Philippiens. Aurait-il déjà quitté Rome ? La chose est d'autant plus vraisemblable que saint Paul est seul lors de sa comparution devant César. Acquitté une première fois, saint Paul fut de nouveau arrêté par la police de Néron, et saint Luc reparaît auprès de lui pendant cette seconde captivité, qui devait aboutir au martyre de l'Apôtre. Sur les dernières années de l'évangéliste nous ne possédons que des traditions incertaines. Des anciens prologues dont nous avons parlé, les uns le font mourir en Béotie, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, les autres en Bithynie, à l'âge de soixante-quatorze ou quatre-vingt-quatre ans, ayant gardé la chasteté dès son enfance.
SAINT JEAN ET LES ÉGLISES D'ASIE À LA FIN DU PREMIER SIÈCLE.
Suivant une tradition fort probable, c'est à des églises d'Asie (de la province d'Asie), sinon à toutes les églises d'Asie, que sont adressées les épîtres de saint Jean. Nous nous préparerons à vérifier le bien-fondé de cette tradition, et aussi à comprendre le but et le caractère de ces épîtres, en essayant de nous représenter ce qu'était la vie religieuse de ces communautés. Entreprise malaisée : toutes les origines sont enveloppées d'obscurité; les conditions de nos ancêtres dans la foi étaient si différentes des nôtres !
La province d'Asie apparaît de très bonne heure comme un des foyers où le Christianisme s'est solidement implanté : saint Paul, nous rapporte saint Luc (Act., XIX, 9, 10), demeura plus de deux ans à Éphèse, prêchant dans la synagogue, puis dans l'école de Tyrannus multipliant ses entretiens, au point que « tous les habitants de l'Asie, Juifs et Grecs, entendirent la parole du Seigneur » Colosses, Laodicée, Hiérapolis comptaient parmi les cités, qui n'avaient pas vu l'Apôtre mais que sa prédication avait touchées ; lui-même avait plusieurs fois traversé Troas et y avait évangélisé les frères ; nous retrouvons, parmi les destinataires des sept épîtres dans l'Apocalypse de saint Jean, Éphèse et Laodicée, à côté de Smyrne, Pergame, Sardes, Philadelphie et Thyatires. Un peu plus tard, saint Ignace d'Antioche envoie une lettre aux chrétientés de Tralles et de Magnésie du Méandre. Il est probable qu'en Asie, tout comme en Bithynie, la foi chrétienne s'était répandue, non seulement dans les cités, mais aussi dans les bourgs et dans les campagnes, qu'elle comptait des fidèles « de tout âge, de tout rang, de tout sexe ». Il est assez vraisemblable que, pendant assez longtemps, dans les centres où ils se trouvaient, les chrétiens ne constituaient qu'une petite minorité : en 155, à Smyrne, au moment du martyre de l'évêque saint Polycarpe, ils apparaissent comme une poignée au milieu des juifs et des païens. (Extrait de l'introduction)
Le commentaire de l'épître aux Romains paru au début de la guerre et très rapidement épuisé attend déjà depuis longtemps une réédition. Le texte du P. Huby garde toute sa valeur. Ce qu'un juge particulièrement impartial en la matière, M. Goguel, a écrit du commentaire sur les épîtres de la captivité vaut certainement et à plus forte raison de celui sur l'épître aux Romains: il ne craignait pas de dire son « admiration pour la manière dont l'auteur s'était acquitté d'une tâche délicate en évitant à la fois deux écueils opposés, la superficialité d'une exégèse banalement édifiante et l'aridité d'une présentation trop technique ». Il reste, Je lecteur désire connaître la pensée du « maître », non celle d'un autre, fût-il un de ses disciples. Nous nous sommes donc décidé à reproduire sans changement le texte même du P. Huby et à présenter en appendice une série de notes destinées soit à compléter les indications bibliographiques soit à suggérer une explication différente. En ce qui concerne notamment l'exégèse de Rom., v, 12 et suiv., le P. Huby nous a dit lui-même avant sa mort que, s'il avait un jour à préparer une nouvelle édition, il adopterait sans aucun doute une autre interprétation. L'importance théologique du problème nous a contraint de dépasser les limites d'une simple annotation et de publier cette note à part : elle constitue l'appendice II. Ailleurs, nous ignorons si l'exégèse que nous proposons lui eût agréé. Elle a souvent été discutée et développée en divers articles parus dans Biblica et Verbum Domini, auxquels nous nous sommes permis de renvoyer le lecteur.
Si nous n'avions craint d'allonger encore le présent volume, nous aurions aimé ajouter une notice biographique. On lira l'article qu'au lendemain de la mort du Père lui a consacré le P. René d'Ouince dans les Études d'octobre 1948, et les notes intimes, brèves, mais si émouvantes, que vient de publier la revue Christus (n° 7, juillet 1955). A leur lumière, on comprendra mieux sans doute comment le P. Huby savait allier exégèse scripturaire et théologie spirituelle.
La constitution apostolique Deus scientiarum Dominus impose aux Facultés de théologie l'enseignement de la théologie ascétique et mystique. Cet enseignement ne doit pas se confondre avec les lectures spirituelles qui ont pour objet la formation ascétique et mystique des étudiants, le professeur ne vise pas directement la formation spirituelle, il veut faire connaître la doctrine de l'Eglise. Cette doctrine peut être considérée soit dans sa synthèse aujourd'hui acquise, soit dans, les principales phases de son développement ou les différentes écoles qui la transmettent et l'interprètent.
Professeur d'histoire des Origines chrétiennes, je me suis efforcé de saisir - cette théologie ascétique et mystique dans son origine, dans le Nouveau Testament. J'ai voulu tenter, pour la doctrine spirituelle, une étude historique guidée par la même méthode que celle que j'avais appliquée à la théologie de la Trinité. Les difficultés de la tâche sont grandes : on ne trouve pas dans le Nouveau Testament une synthèse déjà constituée, mais des fragments qu'il faut rapprocher les uns des autres et auxquels il faut attribuer l'importance qu'ils méritent dans la constitution de l'ensemble, mais, par contre, ces traits sont gravés avec une profondeur qu'on ne trouvera dans aucun autre document. Le Seigneur lui-même nous en a avertis : « Mes paroles sont esprit et vie ». Nous ferons effort pour saisir ces paroles dans toute leur force, directement, sans glose. Certes nous ne les isolerons pas de l'interprétation de l'Eglise, mais nous ne chercherons pas à leur donner le développement explicite qui, peu à peu, a été élaboré par l'effort des théologiens et des saints, Nos sources principales seront l'évangile et les lettres des apôtres, surtout de saint Paul. Dans un autre ouvrage, j'ai étudié La Vie et l'Enseignement de Notre Seigneur. Je ne reprendrai pas cette étude sous le même aspect, ni dans le même but, je ne veux pas ici raconter la vie de Jésus, ni exposer dans son ensemble tout son enseignement ; mais recueillir dans sa vie et dans ses paroles l'idéal de perfection chrétienne et les règles de conduite qu'il nous propose. Saint Paul et les autres apôtres nous permettront de compléter cette étude : dans leurs vies nous trouverons des modèles infiniment moins parfaits, mais purement humains, et dont la lente et laborieuse formation nous apporte bien des leçons précieuses. De plus, leur enseignement, postérieur à la fondation de l'Eglise, nous permet d'atteindre dans sa réalité vivante cette société divinement instituée, ce Corps du Christ, dont l'évangile ne nous apportait que des présages et des promesses. Dans cette étude du Christ et de l'Eglise naissante, nous serons guidés par Marie, mère de Jésus et notre mère, elle nous redira ce qu'elle disait aux gens de Cana : « Faites tout ce qu'il vous dira » et elle nous en obtiendra la grâce.
Pourquoi cet ouvrage ? N'avons-nous pas déjà, en français, d'excellents travaux sur Jésus-Christ, sa vie, son oeuvre et son enseignement ? Tout le premier, j'admire ces livres et le lecteur se convaincra vite que le les ai largement utilisés. Il verra aussi qu'à côté de ces oeuvres maîtresses, il était besoin de réunir en une synthèse, établie pour elle-même, les enseignements de Jésus-Christ, dispersés dans les évangiles et dans les commentaires. Ainsi sommes-nous en état de les mieux saisir et de nous en pénétrer Plus profondément : avantage pour la science et pour la piété.
Comme les autres volumes de la collection « Verbum salutis », ce volume s'adresse à un public cultivé, mais non spécialiste. D'où la forme de notre exposé. Il laisse de côté les discussions et considérations techniques de philologie et de théologie; il renonce à dresser une bibliograghie, qui, d'ailleurs, ne pourrait être qu'infinie. Cependant, à l'occasion, nous nous sommes permis quelques notes de caractère critique, nous avons inséré des références à des travaux scientifiques, voire même peu abordables aux lecteurs communs : nous avons songé aux esprits, curieux ou inquiets, qui désirent des lumières sur certains problèmes plus ou moins troublants ou qui voudraient des indications pour une étude Plus personnelle.
Ces superfluités, pensons-nous, aideront à mieux obtenir la fin que nous poursuivons : faire connaître et aimer Notre-Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ.