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Mokeddem
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Roman finaliste du Prix des Cinq Continents de la Francophonie 2008 Dans la grande ville des sons et lumières, un scénariste algérien exilé, bossu, un chien de bourgeois qui se prend pour Victor Hugo. Deux cultures, un destin Egus, un chien du 16ème, kidnappé par Ali, se retrouve, dans le 18ème, un monde qui ne lui ressemble pas. Pendant ce temps, Fouzi, un scénariste algérien exilé, bossu, SDF, a rendez-vous avec Djamel, un ami d'enfance, qui, partant en voyage, l'a invité à séjourner dans son studio, en son absence.
A la Colline Oubliée, lieu de leur rendez-vous, Djamel, s'apercevant de la présence de deux policiers, Petit-Gros et Grand-Maigre, s'éclipse en confiant les clés à Ali avec consigne de les remettre à Fouzi. Ce qu'il fait, y ajoutant du coup Egus, devenu marchandise encombrante, arguant : pas de clés sans le chien ! une condition de Djamel.
La cohabitation commence mal entre ces deux être déracinés de leur milieu social. Mais peu à peu, Egus découvre un écrivain drôle mais démuni financièrement, et Zizi connaîtra un chien qui se prend pour Victor Hugo, et qui le considère comme Quasimodo.
Désormais compagnons inséparables, ensemble, ils font face à la faim et à un groupe d'islamistes, à leur tête Djamel qui ne l'avait invité chez lui que pour mieux l'impliquer dans le convoyage de fonds collectés en France, vers l'Algérie.
L'histoire de Egus et Fouzi, entrecoupée par celle d'Esmeralda, leur voisine, une beurette fille-mère, c'est tout Notre-Dame de Victor Hugo, revisitée.
EXTRAIT Connaissez-vous Pierre Gringoire ? Le poète de Notre-Dame, pardi ! Pierre Gringoire n'est pas qu'une simple invention hugolienne, c'est Victor Hugo lui-même dans une vie antérieure. Ce n'est qu'un sentiment, je n'ai aucune preuve de ce que j'avance et demande au lecteur de m'en excuser si cela lui paraît trop gros : je fus Gringoire dans une autre vie. En d'autres termes, je suis la réincarnation de Victor Hugo. Logique, n'est-ce pas ? Maman et Papa l'affirmaient à qui voulait l'entendre en pointant de l'index le portrait de l'illustre personnage : Avez-vous remarqué ce visage carré, stoïcien, ces yeux d'enfant sage, cette barbe qui pose son homme dans l'intelligence et la sérénité, ce nez éclaté qui dénonce un flair aigu, et ce derrière rembourré par les longues heures de labeur sur une chaise, cette démarche d'ours, lourde et mesurée, c'est tout lui, notre Egus !
Monsieur Hugo n'a pas vécu qu'une seule vie, mais plusieurs. Il fut Caïn, marin, pêcheur, troubadour, poète, romancier, riche, misérable, philosophe, monarchiste, anarchiste, révolutionnaire, républicain, exilé, époux, père, amant, et merde... chien pour finir ! -
Après 27 années d'usine, Adam est usé, dans la précarité Je gagnais bien ma vie à Nord et Alpes. J'avais mon baton de maréchal. A quoi bon aller chercher ailleurs ! Et pourtant.. Le téléphone sonna un matin... Mon interlocuteur avait une voix grave et posée. J'aimerais bien vous rencontrer ! dit-il. Un rendez-vous fut pris à la Porte de St-Ouen. C'était un homme de taille moyenne, élégamment habillé, un visage ascétique, de marbre, une statue, les cheveux en perte, gominés et tirés vers l'arrière, un homme impressionnant. Je vous engage ! dit-il.
A travers le parcours d'Adam, c'est le monde du travail entre 1900 et 1960 qui est restitué. Aussi et surtout les conditions de vie pendant et après l'occupation de Paris, l'exode, le repli des patrons vers le massif central afin de protéger les usines puis leur passage et leur installation en zone libre avec l'argent des contrats signés avec certains ministères, la rareté des ouvriers partis pour le travail obligatoire ou ayant rejoint la Résistance, le troc, les bons matières, le marché noir, les bonbardements dont celui meurtrier d'août 44. Enfin la Libération, les dédommagements de guerre...
Extrait Des hauts d'Eymouthiers, on voit le sud, on devine la mer, on imagine le soleil frapper le sable et la pinède. Ça sent le thym et la lavande, la sardine et le merlan, l'ail et l'huile d'olive, la tomate et l'oignon. Le corps s'excite, le nez palpite, les yeux larmoient. La mer ! Pour la voir, ils avaient fui Paris. Mais au lieu de s'en rapprocher, ils s'en étaient éloignés.
Les amis sont rares à Eymouthiers. ève a vieilli. Elle tricote, lit ou fait des mots croisés près de la cheminée. Ses jambes ne supportant plus son corps, Adam se résigne au lit toute la journée. Le soir venu, il rejoint ève. Le bruit de la chasse d'eau, la porte qui claque, le pied qui traîne, racle le sol, l'annoncent. D'un geste las, ève éteint le téléviseur.
- Pourquoi diable éteins-tu quand je viens regarder?
- Parce qu'il est l'heure de souper !
Adam soupire, pose mollement son corps dans l'antique fauteuil. L'âge en avait fait une boule de chiffons tremblotante. Il rallume le téléviseur, zappe, s'arrête sur la tour Eiffel. ève fronce les sourcils. Paris, c'est avant tout l'Usine. Même les rares amis qui reviennent du sud passent par Paris. Au lieu des ressacs de la mer, ils leur apportent les bruits de la capitale. Et l'Usine ? Mais c'est fini Adam, le patron est mort, son fils a tout vendu et placé son argent ailleurs ! Ah bon ? Son étonnement même était prétexte à évoquer ou maintenir l'Usine au centre de la conversation.
- Les filles ont téléphoné. Elles ne seront pas là pour Noël !
Du temps avait passé. Les filles avaient grandi à son insu, étaient devenues des femmes sans qu'il s'en rendît compte, avaient des préoccupations, des occupations de leur âge, de leur époque, qui le privaient d'elles, le laissaient seul avec ève qui, quand il parle, ne l'écoute pas, ferme les yeux pour ne pas l'écouter. Elle avait appris à le laisser radoter, à ne plus répondre à ses sempiternels Pas vrai, ève ? à son tour il avait appris à se parler, à répondre à ses propres questions. Après avoir longtemps été la cause et le centre de leurs querelles, l'Usine les avait exilés à Eymouthiers, et murés dans le silence.
- Le chien de Toutoune est mort.
- Lequel ? Elle en a une meute ! Tous les chiens errants de la région trouvent refuge chez elle.
- Celui qui a mordu Madame Hesters...
- Eh bien, il ne mordra plus personne !
- C'était son chouchou ! Elle va le faire incinérer.
- Pourquoi ces frais inutiles ? Pourquoi ne l'enterre-t-elle pas dans son jardin ?
- Elle voulait bien mais on l'a convaincue que l'incinération, c'est plus hygiénique.
- Dans le temps on rendait hommage à son chien en l'enterrant dans le jardin... Enfin, tu me diras que même les humains n'ont plus de cimetière !
- On lui a dit que si elle l'enterre dans le jardin, et si les héritiers vendent la maison, il ne restera plus trace d'Hercule.
- C'est qui on ?
- Le vétérinaire !
- Il a bien changé celui-là. Incinérations et interventions chirurgicales en masse, de la productivité, une usine !
Et l'Usine revient au galop. Comment l'oublier ? Elle était son passé. Il était sa mémoire. Il y avait vécu et travaillé, l'avait bâtie de ses propres mains, maintenue en vie et fait ressusciter après que les Américains l'avaient touchée, après que les Allemands l'avaient rasée. Pas vrai, ève ?
ève se lève, s'en va à ses fourneaux, sans lui répondre.
Si au lendemain du bombardement allemand d'août 1944 quelqu'un lui avait dit que dans les dix jours qui suivraient, l'Usine revivrait, il l'aurait traité de fou. Pas vrai, ève ?
ève fait chauffer la soupe.
Les Allemands avaient volé en rase-mottes au dessus d'Ivry, lâché leurs bombes sur la gare et soufflé l'Usine avec. Inimaginable ce qu'un bombardement peut remuer ou produire comme poussière. T'en souviens-tu, ève ?
ève touille la soupe avec délicatesse. Elle doit frissonner, non bouillir, sinon elle devient immangeable. De cette attaque-là, elle se souvient comme si c'était hier mais elle se souvient aussi qu'il avait fallu, dès le lendemain, rendre l'Usine encore plus jeune et plus forte pour qu'elle les mangeât mieux !
Adam toussote, plonge ses mains veinées dans l'une et l'autre poche du peignoir pour y trouver ses cigarettes, en contemplant le portrait de l'Usine accroché au mur. Le verre remplace la brique et le bois. Investissant l'univers de l'immobilier, l'Usine est devenue une rentière. De derrière ces murs feutrés sortaient autrefois des meubles métalliques qu'il avait lui-même conçus et réalisés : armoires, bureaux, sièges, bibliothèques, boîtes de rangement, aussi beaux et solides les uns que les autres, ce qui avait valu à l'Usine, le label Qualité France !
Il allume sa cigarette. Qui l'eût cru ! Le lendemain même du raid allemand, hommes, femmes et enfants s'étaient présentés devant lui non pour travailler mais pour sauver l'Usine, mère nourricière et dévoreuse à la fois. Au bout de quelques heures, c'était une équipe de ramoneurs aussi noirs les uns que les autres qu'il dirigeait. En dix jours, les toitures ayant été protégées avec des bâches, les trous béants dans les murs bouchés avec des planches, les machines dégagées, remises en état de marche, les matières premières triées, les bureaux à peu près nettoyés, les lignes électriques réparées, les moteurs vérifiés, certains ateliers pouvaient redémarrer dans des locaux ouverts à tous les vents. Des braseros alimentés avec du bois de récupération donnaient une impression de chaleur. Adam et ève étaient eux aussi, de nouveau, installés dans le pavillon de l'Usine, sans fenêtres mais pourvu d'un toit. Il leur avait fallu racheter du linge, de la vaisselle, des meubles. Ils étaient heureux et optimistes. La vie redevenait belle. Pas vrai, ève ?
ève prépare la salade. Non, ce n'était pas l'Usine qui avait payé toutes ces dépenses, ni elle qui les avait fait vivre l'hiver suivant. T'en souviens-tu, Adam ?
Adam se saisit du tisonnier, remue le foyer de la cheminée. Les bûches éclatent, se raniment. De petites flammes s'élèvent, en lèchent les parois noires. L'hiver avait été rigoureux, sans charbon cette année-là. Puis ce fut le printemps 45, la défaite totale de l'Allemagne, son occupation et le démembrement de son parc industriel par les alliés. Des nuées d'hommes d'affaires européens s'étaient abattues sur le pays vaincu pour prendre ce qu'il y avait à prendre. Le Patron y était allé lui aussi. Connaissant bien l'Allemagne, et ayant travaillé avec les Allemands en temps de paix et de guerre, il savait mieux que quiconque où récupérer le matériel dont l'Usine avait besoin. Avec l'argent des dommages de guerre, le matériel acheté par l'intermédiaire de l'Administration des Domaines qui bradait le butin de guerre français, Adam avait fait redémarrer l'Usine, et en un rien de temps doublé son effectif, quintuplé sa production, décuplé son chiffre d'affaires.
ève sort le pain du congélateur. Plus le Patron s'enrichissait, plus eux devenaient pauvres et sans force.
Adam se frotte les mains l'une contre l'autre. L'âge et la tôle les avait abîmées, ravinées. Oui, l'argent était bien allé dans les poches du Patron, pas dans les siennes ! Avec l'importation des nouvelles machines américaines, il avait fallu produire encore plus pour amortir leur coût d'achat, celui des extensions d'ateliers aussi, rattraper le retard, damer le pion aux concurrents, conquérir de nouveaux marchés, arracher de nouveaux contrats, imposer le label de l'Usine, réduire le personnel qui réclamait des augmentations de salaires.
Adam maltraite encore une fois la bûche qui se consume, allume une cigarette.
ève pose la boule de pain sur la cheminée. Il ne faut surtout pas qu'elle y demeure longtemps, sinon elle durcit.
Adam tire sur sa cigarette. Il tousse...
Il finira comme la bûche, en cendres, s'il n'arrête pas de fumer et de parler de l'Usine.
- Ça va mon chéri ? Toujours là ève, à l'affût de la moindre toux pour se manifester. Elle et le docteur, une paire de rabat-joie ! à son âge, il pouvait bien se permettre un porto et quelques cigarettes de temps à autre. Sa toux se prolonge, s'amplifie. La cigarette lui échappe des mains. ève la ramasse, la jette dans la cheminée, se garde de lui lancer : tout ça, à cause de la cigarette ! pour ne pas l'irriter davantage. Lorsqu'il tousse, s'accrochant fort aux accoudoirs du fauteuil, Adam revoit le Patron se plaignant des retards de livraison, estimant que l'Usine ne donne pas son maximum, que les produits fabriqués ne sont pas assez variés. C'était l'enfer. Il mangeait et dormait peu, abandonnait sa famille et ses loisirs, travaillait comme une bête de somme pour un chiffre d'affaires qu'il ne partageait pas, qu'on lui cachait. Ereinté par le travail, il eut sa première crise de coliques néphrétiques en 1950 lors d'un voyage à Londres, bientôt suivie par d'autres, avant qu'on ne l'opérât et qu'on lui enlevât un calcul gros comme une olive. ève avait alors insisté pour qu'il donnât sa démission. Elle avait raison. Pourquoi se claquer dans une putain d'affaire où il gagnait moins que le plus mauvais des vendeurs, avec cent fois plus de soucis et de responsabilités ? Le lendemain, il entra d'un pas décidé dans le bureau du Patron. - Adam, soyez raisonnable, nous avons traversé trop d'épreuves ensemble pour nous séparer sur un malentendu ! Votre état de santé fausse votre jugement, il est la principale raison de votre écoeurement ! Il aurait dû le quitter à ce moment-là, ne pas revenir sur sa décision. Mais le Patron lui avait remis un chèque, offert une Citroën, majoré son salaire de près de la moitié. Il commençait, après vingt ans de loyaux services, à gagner de l'argent. En contrepartie, il devait redoubler de férocité au labeur pour multiplier le chiffre d'affaires, diviser par deux les coûts de revient, créer de nouveaux modèles, améliorer les méthodes de fabrication et l'outillage. Son génie n'ayant pas de limite, il oeuvra dur pour imposer l'esthétique du fer au détriment du bois, partout dans le monde. - à table ! - J'arrive. Pour que le coeur continue de battre, il faut se résoudre à l'ordonnance du docteur, chaque soir, à l'heure de passer à table, depuis dix ans. ève y veille. Elle lui sert un verre d'eau, lui met les trois comprimés dans la main. Il boit l'eau, jette les comprimés dans la cheminée dès qu'elle a le dos tourné. à quoi bon ? Tout aurait dû être pour le mieux et continuer sur cette lancée. Eh bien non, tout avait recommencé. L'Usine ne produisait pas assez. L'Usine était en retard dans les livraisons. Les prix de revient étaient trop élevés. Aux réunions, il se présentait comme devant un tribunal où il était condamné à l'avance. - Adam, ça va refroidir. Il veut se lever mais ses jambes le trahissent. Il payait de sa santé, son amour et sa servitude pour l'Usine. ève accourt. - Tiens voilà ta canne ! L'intervention chirurgicale de 1958 avait eu raison de son corps et de son moral. ève l'avait alors sommé de démissionner sinon elle divorçait. Mais le patron sut si bien manoeuvrer qu'il le fit demeurer dans l'Usine jusqu'au printemps de l'année 1960. Ce jour-là, il devait quitter une affaire où il avait donné le meilleur de lui-même pendant vingt-sept ans et trois mois. Ce jour-là, le Patron tint à ce qu'il sortît par la grande porte. Le travail cessa une demi-heure plus tôt que d'habitude afin que l'ensemble du personnel s'associât à l'hommage que l'Usine lui devait. Avec son talent et sa facilité habituelle, le Patron fit un raccourci de sa carrière, mit en valeur les services rendus, dit que l'Usine devait beaucoup à Adam, que son départ n'en était pas un, qu'il restait conseiller technique de son affaire, qu'ils allaient avoir l'occasion de se revoir. Au nom de tous, il lui souhaita une retraite calme et paisible, et, devant les quatre cents ouvriers, comme s'il les prenait tous à témoin pour sa géné-rosité, il lui avait remis une enveloppe. Merci, je. L'émotion avait étranglé sa gorge et cassé sa voix. Applaudissements, tintements de coupes de champagne, poignées de mains et embrassades lui signifièrent la fin d'une époque, le début de sa fin, de son inutilité dans l'Usine. Touchera-il jamais à un marteau ? Reviendra-t-il jamais dans ces lieux ? Ses yeux, mangés par la soudure, avaient cherché réponse dans ceux du Patron. - Tu veux de la soupe ou de la salade ? - Plutôt un verre de vin ! - Boire avant de manger, c'est mauvais pour le coeur. Tout était mauvais pour son coeur, la soupe aux brocolis y compris. Le Patron l'avait délaissé pour aller saluer des invités d'importance, des personnes d'avenir. Son fils lui avait serré la main à son tour avant de suivre son géniteur, le laissant avec sa mère, une grande blonde aux yeux bleus dont la tristesse tuait la beauté du visage. Après toute une vie de dévouement et de labeur, elle se retrouvait en marge de l'affaire. - Pauvre femme ! dit ève. - De qui parles-tu ? demande Adam - De Madame Hesters ! Le Patron, déjà d'un certain âge, désireux d'avoir un second héritier, n'hésita pas à mettre dans son lit, l'amie de son propre fils; celui-ci pouvait finalement s'imposer dans les affaires du père, et, le plus drôle, ou le plus tragique, épouser la soeur de son ex-amie, plus belle, plus ambitieuse. Les deux soeurs étaient venues vivre sous le toit de la Patronne. Elle, qui avait été à l'origine de l'Usine, n'en contrôlait plus les rouages, le père et le fils s'étant entendus pour la neutraliser. Dire que je l'ai fait riche, l'avorton ! S'en souvient-il ? Non, mon chéri, l'Usine n'a pas de mémoire! L'Usine est un nazi défait. Elle brûle ses archives, change d'identité et de maîtres. L'Usine ne se sacrifie pour personne ! - On aurait pu l'avertir si elle avait le téléphone. Il faudra songer à faire un saut chez elle. - De qui tu parles ? - De Toutoune, voyons ?! Au Diable Toutoune. - Il y a trop de lait dans cette soupe ! - Le lait consolide les os ! Essuie-toi la bouche, mon chéri ! C'est avec un bout de pain qu'il débarrasse le coin des lèvres de sa bave. - C'est du pain ou une bûche ?! ève avait négligé le pain cinq minutes de trop sur la cheminée. Bien sûr, la baguette parisienne était beaucoup plus tendre. Elle se lève, lui essuie le menton avec sa serviette. Elle en profite pour passer sa main sur sa tête. Un geste de tendresse, vieux comme un souvenir amoureux, de compassion aussi, comme lorsqu'il était revenu de l'Usine pour la dernière fois, les yeux vides, le coeur déchiré. - Veux-tu que je te prenne un rendez-vous chez le kiné ? - Non. Ce soir-là... C'était comme si on l'avait roué de coups. Il était rentré désireux de soleil, d'eau de mer, et de déjeuners, torse nu. Partons, ève ! Une envie soudaine de partir le plus loin possible de l'Usine, de fuir Paris pour tout oublier, retrouver son corps défait par le temps et le fer. - Encore une louche ? Il avait vendu la villa de Quincy-sous-Sénart, et acheté une maison à Golfe-Juan, à un prix dérisoire. Mais sa remise en état pour pouvoir y vivre fut une autre histoire. Un ami architecte lui avait établi un projet de restauration et d'agrandissement à portée de bourse. Celui-ci, certainement de bonne foi, n'était pas au courant des pratiques de constructions sur la côte. Ses devis équivalaient à l'édification d'une étable. Alors que les travaux de maçonnerie étaient très avancés, il lui avait fallu tout revoir à la baisse, matériaux, plomberie, sanitaire, électricité, chauffage, carrelage. Ses disponibilités presque à sec et des mémoires d'entrepreneurs à régler, il s'était tourné vers le Patron. Ne lui avait-il pas laissé entendre qu'il serait là en cas de coup dur, qu'il trouverait toujours une formule pour que sa retraite soit complétée par un petit traitement ? Il était trop occupé pour lui répondre. à Golfe-Juan, à midi, le soleil est à la verticale, la mer est plate, et un petit vent d'est fait vibrer la pinède. Leur maison était à quelques dizaines de mètres de la mer, à flanc de colline. Demain on ira faire trempette, ève ! Mais le lendemain, il y avait le jardin à dé- broussailler, les arbres morts à dégager, d'autres à planter, les murs écroulés à redresser, le garage à finir, et toutes les petites tâches qui rendent la maison confortable et douillette. Juré, promis, demain on ira faire trempette, ève ! Mais le lendemain, le rein d'Adam fait des siennes. Infection urinaire généralisée. La prostate touchée, le docteur et le chirurgien parlent d'opération. Puis ils changent d'avis, prescrivent des antibiotiques et obligent Adam à garder le lit pour de longues semaines. Il se rétablit doucement. La prostate redevenue normale, le spectre de l'opération se dissipa. Allons faire trempette, ève ! Mais avant d'aller faire trempette, il fallait éplucher le courrier, notamment celui annuel de l'Usine, qui indiquait les salaires communiqués à l'Inspection des contributions. - Impossible, il doit y avoir une erreur ?! Joint par téléphone, le comptable de l'Usine trancha. Pas d'erreur. Outre la pension, il y avait lieu d'ajouter les montants de deux chèques perçus l'un en prime de fin d'année 1959, l'autre comme prime de départ en retraite. Le Patron l'avait blousé. Comment s'acquitter d'une telle somme dans un délai de deux mois. Que vendre pour éviter la saisie de la maison ? Rien, ils n'avaient rien accumulé pendant toute une vie de labeur. - Adam, il faut vendre et partir... nous avons vu la mer, vu le soleil, cela suffit ! Maison à vendre. Un industriel parisien se présenta à eux un matin et acheta la maison, cash. Où aller maintenant ? à Eymouthiers ! Cette fois-ci, pas question de travaux ? Promis ! Ils n'avaient ni le temps ni l'âge ni la patience ni la force des bâtisseurs qu'ils furent. Ce n'étaient plus que deux petits vieux harassés par la maladie et aux fins de mois incertaines, qui avaient rêvé de mer et l'avaient vue sans pouvoir s'y tremper. -
Les petits jours ; il est des hommes pour qui le plus grand jour de leur vie est celui de leur mort
Robert Poudérou
- Mokeddem
- 2 Février 2009
- 9782916903033
Robert Poudérou est né en 1937. Il est l'auteur d'une cinquantaine de pièces jouées à Paris, en province et à l'étranger. Une vingtaine a été diffusée sur Radio France (France Culture, France Inter) et la Radio Suisse romande. Scénariste, il a écrit sept téléfilms, dont : Le Voyage sans retour, Les Enfants Lascaux, Marion et son tuteur, plusieurs scénovisions et réalise Liberté, nous voilà !, un docudrame sur la résistance en Dordogne (2002). Il obtient le prix Radio de la SACD en 2002.
Il est des hommes pour qui le plus grand jour de leur vie est celui de leur mort.
Après cinq années de vie commune, Lucie et Germain découvrent que l'infidélité dans le couple est une prise de conscience non de soi-même, mais de son propre corps EXTRAIT Lucie n'était pas dans la cuisine. Pas dans la chambre. Pas dans la salle de bain. Pas de dentifrice sur la brosse à dents. Le lit n'était pas défait. Le couvert de Germain n'était pas mis dans la salle de séjour. Il n'y avait pas de limonade dans le verre posé sur la petite table de la chambre. Machinalement, Germain a pris le verre. Machinalement, il s'est assis au bord du lit. Et longtemps, très longtemps, il est resté là, sans bouger, à fixer le tapis, le verre vide dans les mains.
Et c'est ainsi que Lucie, passé minuit, l'a trouvé.
Elle n'a rien dit. Il n'a posé aucune question. A le voir si accablé, si malheureux, elle est venue s'asseoir près de lui, puis elle a laissé un long moment son front posé contre la joue de son mari. Quand elle a relevé la tête, elle a vu qu'il pleurait doucement. Alors, dans ses yeux ont éclaté soudain les larmes d'une joie profonde : elle a cru que tout redevenait pareil comme au premier jour de leur tendresse, que Germain avait besoin d'elle et de toutes ces petites choses qu'elle savait seule lui donner, qu'il n'irait pas au bout de cette histoire qu'il voulait écrire. Elle a dit:
- Pardonne-moi, j'étais au cinéma. Une envie d'ailleurs, ce soir.
Puis elle a pris le verre dans les mains de Germain et elle est passée dans la cuisine pour le remplir de limonade.
Le lendemain...
Le réveil a sonné, des pieds nus ont traîné suer le parquet ciré, l'eau chaude a coulé, le rasoir a fait la peau des joues lisse, le café noir a fumé dans un bol, le pain frais grillé, beurré, a craqué sous les dents. Et après, il y a eu la rue, le ciel bouché sur la tête. Et le métro ensuite, et Germain pressé dans un coin par des gens aux visages mornes. Et au bout du métro, les arbres de l'avenue, le bâtiment monolithique avec ses ascenseurs, ses pointeuses, ses grandes salles aux bureaux alignés.
Dans la matinée, dans le couloir, Jeanne a suivi Germain quand il est sorti pour aller aux toilettes. Elle lui a dit qu'elle partait en province avec son mari qui devait diriger là-bas une succursale de la Compagnie ; elle trouvait que c'était bien ainsi ; et comme elle attendait que Germain dise quelque chose et que Germain ne disait rien, elle lui a vivement signifié qu'il était tout à fait semblable à tous les autres et n'a pas attendu de savoir s'il avait une réponse à lui donner.
A midi, Germain a téléphoné à Lucie, au magasin. ça faisait longtemps qu'il n'avait pas eu l'idée de l'appeler simplement pour lui dire bonjour, pour entendre sa voix : elle était contente, elle a dit. Le travail ne manquait pas au magasin et elle aurait le soir un peu de retard. Elle lui a recommandé de ne pas oublier les commissions : elle avait mis une liste sur la table de cuisine. Elle lui a dit qu'elle l'embrassait bien fort. Mais Germain aurait peut-être aimé qu'elle ne raccroche pas si vite.
Le soir, Germain attendait Lucie devant le magasin. Enfin, à trente pas de l'entrée pour qu'elle ne l'aperçoive pas tout de suite en sortant.Quand Lucie est apparue, à l'heure habituelle de la fermeture, Germain a semblé vouloir se porter vers elle or, son élan s'est brisé : Lucie cherchait quelqu'un du regard. Il y avait en effet quelqu'un de l'autre côté de la rue qui a fait un geste de la main à l'adresse de Lucie - un homme, un Africain, vers lequel elle a couru. L'Africain était plus grand que Germain, une bonne tête de plus que Lucie qui s'est lovée contre lui dans un visible abandon de son être. L'homme l'a tenue serrée fortement dans ses bras de haut en bas de son corps comme dans un désir de fusion immédiate. Et puis, tout entière suspendue aux yeux de l'homme, tête posée sur l'épaulela de celui-ci, Lucie a titubé un moment en marchant ; peu à peu l'Africain et Lucie ont accordé leurs pas et Germain les a suivis. Le couple est entré dans un vieil immeuble. Il a disparu dans l'ombre de l'escalier. Germain a lu tous les noms écrits sur les boîtes aux lettres du couloir. Il n'y avait qu'un seul nom qui n'était pas français, un seul nom exotique. Il est monté au deuxième étage puis, comme il était écrit sur l'étiquette de la boîte, il s'est approché de la porte droite. Il n'y avait, à cette heure, dans l'immeuble aucun bruit, aucune animation. Dans le silence, l'oreille plaquée à la porte, Germain a reconnu la voix de Lucie. Et son rire. Le rire frais qu'elle ne libérait sans doute plus depuis longtemps avec son mari. A ce rire a succédé de la musique : une mélodie sentimentale antillaise égrenée à la guitare.
Et soudain plus rien.
Germain a eu un geste qui était comme l'intention de frapper à la porte mais il n'en a rien fait. Il a continué à écouter et, au bout d'un long moment d'écoute, il a entendu, pendant quelques instants, faibles encore, les douces plaintes du plaisir qui monte dans un corps de femme ouvert, en confiance, aux tendres attouchements des mains de l'homme, un plaisir qui a fini par éclore, par trois fois, et crescendo, en un oui d'amour de Lucie à cet homme qui la prenait. -
à fleur de plumes ; mythes et réalités de la Bolivie ancestrale
Claire Lamorlette, Eduardo Conde quipse
- Mokeddem
- 2 Février 2009
- 9782916903057
Les anges d'Eduardo Conde Quispe me rappellent que la vie apporte toujours sa part de rêve, que la nature est encore belle et que la Bolivie s'attache, depuis peu, à rendre démocratiquement à son peuple les ressources dont il a été spolié durant des siècles.
Claire Lamorlette Mythes et réalités de la Bolivie ancestrale Lancés sur la route des Indes, les aventuriers qui foulèrent nos terres en 1492 nous ont baptisés Indiens avant même de nous connaître. Vers 1535, des moines, suivis des conquistadors du Haut Pérou, anciennement la Bolivie, atteignent le lac Titicaca. Non loin de Tiwanaku, un membre de l'expédition interrogea sans doute en ces termes l'un de nos ancêtres : Comment s'appelle ton peuple ? Qui es-tu ? Quelle langue parles-tu ? Celui-ci, interprétant ces questions, pensa que l'Espagnol lui demandait : Depuis quand vivez-vous ici ? Il répondit : Aymara Dans sa langue maternelle, cela signifiait : il y a fort longtemps Durant mon enfance, mes grand-mères, Nieves Huanca et Concepcion Avalos, m'ont fait découvrir et vivre au quotidien notre cosmogonie aymara, nos conceptions de la vie et de la mort, à travers les contes et légendes qui nous sont familiers, habités par nos dieux tutélaires tels que les Apus, les Achachilas et les Illas. Là-bas, dans les communautés, hommes et femmes cohabitent avec ces entités, auxquelles ils vouent un grand respect, et ils entretiennent avec elles des relations de réciprocité, au travers de libations et de prières qui marquent chaque événement important. Puis, au cours de nombreux voyages dans mon pays, j'ai pu constater que ce monde ancestral, avec ses dieux, ses symboles et son art, était en train de disparaître face à la poussée de la modernité. C'est ce constat qui a sans doute éveillé en moi un fort besoin de m'exprimer par le dessin et la peinture afin de révéler un univers qui, avec le temps, me parut encore plus fascinant. Invité par une association culturelle, je suis arrivé à Paris en 1985. Mes tableaux et dessins ont touché des femmes et des hommes qui ont eu envie de faire connaître en France les cultures natives de mon pays, en particulier le monde aymara dont je suis issu. Les nombreux événements et activités organisés à Paris autour de la Rencontre des deux mondes, en 1992, m'ont donné l'occasion de faire la connaissance de Claire Lamorlette, qui, captivée par l'inspiration de mon travail pictural a voulu en savoir plus. Nous avons ensuite décidé d'écrire ce livre, illustré par un choix de tableaux, auquel elle a donné le titre A fleur de plumes. Il accompagnera mes expositions tout en ouvrant une fenêtre lisible sur la cosmogonie aymara. Grâce à Claire, nous avons pu rencontrer l'éditeur, Mohamed Mokeddem qui, spontanément, a décidé de le publier.
A fleur de plumes conte et donne à voir certains mythes et réalités de mon pays, la Bolivie.
Tous mes remerciements à Claire Lamorlette, aux éditions Mokeddem et à Christian Rudel, pour sa préface.
Eduardo Conde Quispe Tiwanacu, un village sur le toit du monde, non loin du lac Titicaca et de La Paz. Pureté des lignes, paysages dénudés de hauts plateaux aux formes douces, force des couleurs ravivées par un air pur où l'altitude rapproche la terre aymara des étoiles et du ciel, pierres millénaires superbement taillées de temples sacrés baignent l'enfance d'Eduardo Conde Quispe, né dans ce lieu magique le 13 octobre 1953. Très tôt Eduardo s'initie à la musique andine traditionnelle, aux instruments à vent dont chacun sait jouer dans la région. Puis il remplit ses cahiers d'écolier de dessins aux tons vifs. Rude est le quotidien : sa mère est seule à élever trois enfants. Eduardo, scolarisé au village, doit partir travailler à La Paz. Il a dix ans. Hébergé par un oncle austère et froid, peu attentif à ses dons précoces de dessinateur, le jeune garçon est embauché sur un chantier comme peintre ébéniste. Le soir, il étudie le programme du collège. Lors de ses rares moments de loisir, il trouve le temps de dessiner et de peindre, son frère Hugo lui servant souvent de modèle. Les jours, les années passent à ce rythme. Après le lycée, Eduardo n'abandonne pas son projet de se former aux arts plastiques ; il intègre l'Université Majeure de San Andres, à La Paz. Parallèlement à ses études, il forme un groupe de musique dans les années 1970. Il joue du charango et de la guitare. La vie des paysans dans la cordillère et dans les vallées chaudes (Yungas), les fêtes et cérémonies, l'histoire, les légendes et les mythes constituent ses principales sources d'inspiration picturale.
Après une exposition au Canada, son chemin artistique le mène en Europe. Eduardo arrive en France en 1985, invité en qualité d'animateur du Centre culturel Chitakolla de La Paz pour faire connaître la culture des Amérindiens, notamment à travers sa peinture. Il décide alors de rester à Paris et de poursuivre ses activités artistiques. Il crée l'association culturelle Porte du Soleil et organise des expositions de tissages aymaras, de céramiques Shipibo (peuple de l'Amazonie péruvienne) et de parures de plumes d'Amazonie. Il expose ses oeuvres en Moldavie, en Suisse et dans différentes villes de France. En 1996, Eduardo est invité à la Rencontre des communautés amérindiennes, qui se tient à Paris à l'initiative du président Jacques Chirac. Ses deux dernières expositions ont lieu en 1999 à l'Ecole des Sciences sociales, à Paris, et en 2000, à Fontaines-Saint-Martin, à proximité de Lyon. Parallèlement à son activité créatrice, Eduardo Conde Quispe se perfectionne en peinture murale, en restauration de fresques et de monuments, activités qui le font voyager et lui permettent de vivre et de peindre.
A fleur de plumes est l'occasion de retrouver le fil d'une histoire née dans un continent, dans un monde où nature et hommes entretenaient un dialogue harmonieux avant le choc de la conquête. Ce dialogue se tisse sur un modèle en création permanente à partir de ce qui existe. A partir, aussi, de la peinture d'Eduardo Conde Quispe et de ces quelques lignes.
Claire Lamorlette À 3800 m d'altitude, un petit village proche du lac Titicaca émergeait lentement, voici quelques millénaires, d'un long anonymat humble et frugal : Tiwanaku - le village éternel selon certains - s'apprêtait à dominer une vaste région, puis à bâtir le premier grand empire des Andes.
Peut-être les paysans des origines avaient-ils placé leur confiance dans la haute montagne, là-bas vers le sud, que nous connaissons sous le nom d'Illimani et dont notre science a parfaitement mesuré la hauteur : 6432 m au-dessus du niveau de la mer. C'était le plus haut d'un troupeau de sommets pareillement enneigés, que la Cordillère royale avait posés en sentinelles et en gardiens de l'Altiplano.
De l'Illimani et des autres montagnes descendait, par de nombreuses rivières, l'eau nécessaire aux cultures, aux animaux, aux hommes, à la vie. Cette eau était le don des mystérieux habitants des hautes montagnes, des êtres jamais rencontrés, mais dont les manifestations spectaculaires - coups de tonnerre, éclairs - ne laissaient aucun doute sur leur existence, et même les rendait redoutables.
Comment rencontrer, comment entrer en relation directe avec ces hôtes des neiges pour les remercier de leurs bienfaits - ou pour en demander d'autres ? Mais d'abord, où trouver leur résidence ? Le condor, roi des oiseaux, roi des neiges, roi du ciel, devait bien connaître leur demeure : rien n'échappe à son oeil pénétrant. Ah, si l'homme pouvait voler et, comme lui, s'élever au-dessus des sentiers, des chaumières et des champs ! Mais l'homme est lourd, pesant. Il a beau s'affubler d'ailes de condor, au cours de certaines fêtes, il se révèle incapable de prendre son envol pour se diriger vers le séjour des êtres invisibles.
Le condor restait le seul trait d'union entre le monde visible des hommes et le monde invisible des maîtres des montagnes et de l'eau. Le condor comme d'autres oiseaux, transportait parfois un message pour guider l'homme dans sa vie et ses travaux ordinaires ; il suffisait de bien les observer, les écouter et d'interpréter correctement les signes qu'ils lançaient.
Porteurs de messages et de secrets, les oiseaux servirent naturellement de lien entre le monde fréquenté par les esprits des ancêtres et celui des vivants, le monde ordinaires des humains. C'est ainsi que, de génération en génération, le rôle des oiseaux intermédiaires et messagers prit de l'ampleur : ils étaient de toutes les fêtes, du moins à travers leur symbole, la plume. Des plumes multicolores, car les habitants des Andes échangeaient des plumes aux couleurs de l'arc-en-ciel de la forêt amazonienne contre d'autres produits ou denrées de leur région.
C'est alors que sont apparus dans les Andes des personnages auxquels il a poussé des ailes, mi-hommes mi-oiseaux, endossant le rôle de messagers véloces du monde d'en haut.
Si de tels personnages peuvent être confondus avec les anges de la tradition catholique, interprétés et revus par des artistes autochtones, ils sont cependant bien visibles sur des tissages, poteries et sculptures de civilisations andines antérieures à l'arrivée des conquistadors.
Le métissage résultant de la conquête fut aisé, quasi naturel, en ce qui concerne les anges, d'autant que la représentation de l'ange catholique permettait de cacher, et de perpétuer, le messager andin dès lors interdit de séjour.
Né à Tiwanaku et nourri au vieux fond culturel des Andes, le peintre Eduardo Conde Quispe ne pouvait que restituer et prolonger, en y ajoutant sa touche et ses recherches personnelles, le chapitre des messagers ailés, évoqué ici sous la plume de Claire Lamorlette.
Christian Rudel Grand reporter -
Le fils de la maison ; être adolescent à Paris pendant les années de Gaulle-Bardot
Jean Larriaga
- Mokeddem
- 2 Février 2009
- 9782916903064
Jean Larriaga est né à Paris en 1945. Après un bac philo, il devient monteur de films, puis assistant metteur en scène à la Gaumont. En 1971 il écrit et réalise son premier film pour le cinéma: La Part des lions avec RobertHosein, Charles Aznavour, Michel Constantin, Raymond Pellegrin et Elsa Martinelli. Il dirige Piéplu et Villeret, Denner et Leslie Caron, Guiomar et Victor Haïm dans des comédies qu'il réalise pour FR3. Le théâtre lui vient par son jardin secret : la radio. Piéplu portera à la scène son Extra à Paris et dans toute la France.
Fils de Boulanger-pâtissier, Jean Larriaga note :... dans la boulangerie de mes parents qui était comme un théâtre ouvert sur tout un quartier, j'ai emmagasiné très tôt une foule d'observations sur les gens et un quotidien que j'ai envie de faire décoller.
Être adolescent à Paris pendant les années De Gaulle-Bardot 1959. Le temps du microsillon, du Nouveau Franc, d'un Président, Charles de Gaulle, et d'une star, Brigitte Bardot, dont celui-ci dira : Elle rapporte plus d'argent à la France que la régie Renault Désir d'être et de paraître de deux adolescents parisiens, Pierrot, fils de boulanger-pâtissier, et Jean-Michel, fils d'hôtelier, dans un monde d'adultes, de tabous, de non-dit, et de petites révoltes... qui annoncent Mai 68.
Une littérature 68hard grandement populaire et nostalgique d'un Paris...
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EXTRAIT Minuit sans filles. Salopes ! Les garçons burent aux salopes du monde entier pour entamer leur réveillon en tête-à- tête. Il y avait largement à manger pour deux tellement Jean-Michel s'était plaint qu'il aurait faim. Sa grand-mère, montée se coucher, lui avait réservé un copieux repas de fête et offert son cadeau, un mini-transistor Hitachi. Tournant la bague des stations, Jean-Michel en cherchait une qui déménage. Mais il n'y avait partout que des messes.
Tous deux détestaient les chansons de Noël, surtout ces gros tubes mielleux, châtrés de rythme et de batteurs. Quand Jean-Michel tomba sur Max Roach et Coltrane en 58, il mit le son à fond et ils gueulèrent : Sauvés ! Ils retrinquèrent. Entre le scotch, le rouge et le cham-pagne rosé acheté par Pierre, ils con-jureraient la nuit chrétienne à coups de mélanges. Je commencerai 60 en beauté ! Jean-Michel qui n'avait rien dit lui paria qu'il n'y arriverait pas... Parce que les vendeuses de la rueTronchet ne baisaient pas avant d'être mariées et de faire des gosses. Même coiffées comme B.B, la copiant, copiant son sex-appeal, elles avaient le cul coincé, serré, bouclé.
Tu fais chier, je la baiserai !
On parie le dernier Art Blakey ? -
Cherchant un habit d'apparat, l'auteur perd la tête et se dénude Envoyé en Amazonie péruvienne, l'auteur, un phytochimiste, doit mener un travail de terrain sur l'usage et l'efficacité des plantes pouvant avoir un effet sur le système nerveux central. Pour cela, il se fait cobaye. Il absorbe l'ayahuasca.
EXTRAIT Je n'avais jamais bu une chose aussi amère. J'en avais pris une pleine calebasse, tout autant que Nete Vita et ses deux disciples sinon plus, pour que l'expérience soit réussie, valable sur le plan scientifique. J'avais hésité à boire. Le docteur m'avait alors foudroyé du regard. Bois ! Un coup de coude dans les côtes m'avait décidé à avaler le liquide.
Assis à même le plancher, nous formons un demi-cercle, face à Nete Vita et ses disciples. Au milieu, le malade, à demi-prostré. La cabane est éclairée par une lampe à pétrole. Les ombres dansent, et dansent autour d'elles les hémiptères. Je les vois tourner, se poser sur moi depuis un certain temps, mais je ne sens pas leurs piqûres. Je me gratte. Je ne sens pas ma peau sous mes doigts. Je me pince. Rien. Je ne sens pas mes oreilles mais j'entends. un chant aigu de femme, une voix soprano ; pourtant il n'y a que des hommes dans la cabane. Je lève les yeux sur Nete Vita. Ses lèvres remuent. Il chante. Une voix de haute-contre, technique vocale des onanya et des meraya, ceux qui voient et ceux qui rencontrent, en langue shipibo.Que voit-il, qui rencontre-t-il ?
- Savez-vous, Docteur, que sous l'effet de l'hallucinogène, Nete Vita voit une autre réalité, des esprits, les esprits des plantes, me souffle le docteur Ulises. Ces dessins, ces lignes qui ornent les céramiques et les toiles shipibo que vous admirez tant, avec l'ayahuasca, Nete Vita les voit sur les corps de ses patients, comme une deuxième peau. Sur des corps sains elles sont nettes, bien dessinées. Sur ceux des individus malades, elles sont brouillées, n'obéissent pas aux lois de la symétrie.
Sur la façade de l'Eglise, à droite du porche, se dresse un Conquistador. Un sarment de vigne grimpe sur les bottes, évite l'épée, s'entortille autour des cuisses puis des cuirasses, et atteint son pourpoint. La liane sacrée des Espagnols déploie ses pampres, ses feuilles s'ouvrent, ses grappes cherchent le visage du saint, elles s'inclinent vers sa bouche. Il va boire la boisson sacrée, celle qui se transforme en sang, celui de l'Homme dieu. Le vin s'écoule dans la bouche. Le miracle a lieu. Paysans et Indiens tombent à genoux aux pieds de l'homme à l'armure dorée, murmurent une prière, l'implorent.
Un coup de fouet claque.
Le carrosse d'or de Ferdinand, vice-roi du Pérou, accompagné de Camilla, sa nouvelle maîtresse, favorite de la troupe de comédiens arrivée dans cette riche et lointaine colonie espagnole après un voyage dans les deux océans,arrive de la grande Place d'Armes au galop de ses quatre chevaux ébouriffés. Face au miracle, les chevaux se cabrent, effrayés. Ferdinand se jette sur Camilla, la saisit, la retient, l'étreint, lui évite la chute. L'éclair d'un embrassement. Les écailles d'or du pourpoint du saint pleuvent sur les mendiants. Les Indiens s'émerveillent, se signent. La foule accourt de toutes parts. C'est le miracle de la liane sacrée des Espagnols. Ferdinand, en pourpoint éclatant d'or lui aussi, caresse de ses yeux sa plus belle conquête. Il lui faisait l'honneur d'une visite de Lima au grand scandale du haut clergé et de la noblesse espagnole. Le carrosse est couvert de sculptures baroques où apparaissaient des angelots, leurs visages bouffis et leurs ailes avortées. Les indiens qui les avaient peints leur avaient fait des joues roses, des yeux bleus et des chairs très blanches. Etait-ce pour plaire aux Espagnols, par esprit courtisan, ou par ironie pour se moquer de leurs maîtres dont la presque absence de mélanine semblait ridicule et sujet de moqueries à ces gens à la peau mate. C'étaient des albinos, des fantômes.
- Te mareaste Tonon ?
Le curandero me fit sortir de ma contemplation de cette vision du vice-roi du Pérou, parée d'or, et de sa Camilla, pour retrouver la demi-obscurité de la cabane.
- Te mareaste Tonon ?
Le goût amer de l'ayahuasca avait disparu. Une petite heure auparavant j'avais ingurgité ce liquide épais et violemment vomitif qu'il m'avait servi. J'avais hésité longtemps avant d'absorber l'ayahuasca, par peur de l'inconnu et de toutes ces visions qui affolent les locaux, métis hispanophones et indigènes riverains. Visions de serpents ouvrant des bouches armées de crocs venimeux, de boas géants s'approchant et s'enroulant autour de leurs corps pour les étouffer. L'amertume de l'ayahuasca s'étant dissipé, je me félicite d'avoir essayé ce breuvage, il m'offre de belles images, en rien effrayantes.
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La couleur de l'encre ; j'ai commencé à tuer quand j'ai réalisé que l'être humain n'a aucune pitié pour l'innocence
Francesca Schaal-zucchiatti
- Mokeddem
- 15 Avril 2010
- 9782916903088
Voilà un livre qui commence mal et finit mal. Un crime à la première page, un suicide à la dernière, et, au milieu, une jeune fille qui nous raconte l'horreur de sa captivité et sa fascination pour son ravisseur, un jeune tueur obsédé par sa justice. Petit, il ne comprenait pas pourquoi la cruauté de son père attirait tant de compréhension, et pas sa frayeur. L'innocence serait donc une idée inutile, et la mort d'autrui une possibilité. Qu'est-ce que l'innocence dans une société qui veut pleurer la victime et, dans le même temps, comprendre son bourreau !...